Zagreb, envoyée spéciale. Zoran Milanovic, premier ministre de Croatie, âgé de 46 ans, ancien diplomate et juriste de formation, dirige une coalition de centre-gauche depuis décembre 2011.
L'Europe est en crise, la Croatie risque de connaître cette année sa cinquième année de récession. C'est dans ce contexte que votre pays intègre l'Union européenne (UE) le 1er juillet. Quel impact cette intégration risque-t-elle d'avoir sur la Croatie ?
Le président François Hollande a dit récemment que la crise était derrière nous. Nous nous sommes préparés pendant très longtemps, peut-être plus longtemps que n'importe quel autre nouveau membre, à intégrer l'Union. Nous sommes prêts! Nous savons à quoi nous nous engageons. C'est une nouvelle chance, un nouveau défi.
En Allemagne, certains ont dit que la Croatie n'était pas prête à entrer dans l'UE, voire qu'elle était la future Grèce de l'UE…
Ce n'est pas la position officielle de Berlin mais d'un nombre restreint de députés conservateurs et d'une partie des médias, de la presse à sensation, Bild, par exemple ! Indépendamment du fait que la Croatie n'est pas membre de la zone euro, toute comparaison avec la Grèce est absurde. Les finances et la solvabilité de la Croatie sont bien meilleurs que ceux de la Grèce.
Dans son dernier rapport, la commission européenne salue les progrès accomplis par la Croatie, mais souligne que la corruption reste un vrai problème dans votre pays. Que comptez-vous faire à ce sujet ?
C'est en grande partie un problème de perception. Ni mon gouvernement ni moi-même ne pouvions changer de façon radicale ce problème du jour au lendemain, quand nous sommes arrivés au pouvoir il y a un peu plus d'un an. N'oubliez pas que mon prédécesseur a été accusé de plusieurs actes de corruption ! Il est d'ailleurs en prison depuis un an. Mais déjà lorsque j'étais dans l'opposition et depuis le premier jour de mon arrivée au pouvoir, j'ai préconisé un projet ambitieux pour la Croatie. Au risque de paraître prétentieux, je dirais que nous visons le modèle scandinave. Je suis président du Parti social-démocrate, qui est un parti de gauche et libéral. L'objectif de mon gouvernement est d'abord d'agir en amont, par notre manière de travailler, par les règles que nous nous imposons, afin de prévenir ce fléau.
Vous venez de dire que la corruption est essentiellement un problème de perception. Vous parlez des Croates ou de l'Union européenne ?
Je parle des deux ! Je vis ce problème comme un important défi, et cela ne me console pas de savoir que d'autres pays sont eux aussi confrontés à la corruption. Après la guerre, la Croatie, qui est un petit pays, s'est développée de manière déséquilibrée. Certaines de ses régions auraient pu être admises dans l'UE il y a déjà dix ans, car elles répondaient aux exigences requises. Malheureusement, cette guerre nous a coûté extrêmement cher, matériellement et psychologiquement. Il faudra encore du temps pour que nous résolvions tous les problèmes qui en découlent.
Outre la corruption, on reproche à la Croatie d'avoir une administration pléthorique et bureaucratique. Les entrepreneurs privés s'en plaignent. Que comptez-vous faire pour arranger les choses ?
Tout le monde me pose la même question ! J'en conclus qu'il y a des stéréotypes à propos de la Croatie. A croire que mon pays est peu ou pas développé ! La réalité n'est pas celle-là. Parlons des lois, en matière économique : elles sont beaucoup plus libérales qu'en France.
Vous parlez de stéréotypes, mais les investisseurs potentiels sont nombreux à se plaindre que pour monter une affaire en Croatie, il faille réussir une course d'obstacles, et supporter une lourde paperasserie….
J'affirme que nos lois sur les investissements et la fiscalité sont très permissives. La pression fiscale est comparable à la moyenne européenne. A l'heure actuelle, il est question d'investissements de plusieurs centaines de millions d'euros, qui nécessitent de répondre à de nombreuses exigences européennes.
J'ai deux exemples en tête. L'un concerne l'industrie pharmaceutique et dépasse 300 millions d'euros. Ce projet a abouti. Mais depuis le premier jour, mon équipe et moi-même avons été soumis à la pression de l'investisseur : il aurait fallu que tout se passe très vite, sinon il menaçait de quitter le pays !
Le deuxième exemple d'investissement en cours concerne l'énergie. Il se monte à un milliard d'euros. Ce sont des problèmes qui ne peuvent pas se régler du jour au lendemain car les exigences écologiques sont sévères. Nous avons raté dans le passé beaucoup d'opportunités d'investissements – dans l'industrie automobile ou électronique, avec Renault ou Samsung, par exemple. Ces grandes usines sont allées s'installer en République tchèque ou en Slovaquie. La Croatie, parce qu'elle ne faisait pas encore partie de l'Union européenne, était hors course. Je ne veux pas apparaitre défensif en vous répondant ceci. Je veux juste souligner que mon gouvernement fait tout pour que les choses se passent dans les règles.
Comment comptez-vous relancer l'économie croate alors qu'elle risque, cette année encore, d'être en récession ?
Nous fonctionnons en réseau avec les pays européens. Nous ne pouvons pas nous payer le luxe d'un lourd déficit budgétaire. Mais il y a d'autres problèmes à résoudre : par exemple, notre assez grande dépendance à l'Italie pour nos exportations ; or, là-bas, la situation est mauvaise. Notre tâche principale en ce moment est de créer un climat d'investissements sain, et de consolider les règles fiscales.
En matière d'investissements directs étrangers, il y a de bons projets. Ce qu'il faut faire, c'est accélérer les procédures. L'économie croate a un atout : le tourisme. Dans ce secteur, différents projets dépassent plusieurs milliards d'euros. Le danger est que nous devenions une "monoculture". Cela dit, le tourisme n'a jamais dépassé 20 % du PIB.
Dans quels domaines autres que le tourisme souhaiteriez-vous voir arriver les investissements directs étrangers ?
Dans l'énergie, dans la recherche pétrolière et gazière, dans les transports aussi. Nous avons réussi à construire nos autoroutes, il nous reste le chemin de fer. Nous bénéficions d'un investissement de 3 milliards et demi d'euros de l'Union européenne. Il y aura des lignes Rijeka-Budapest, et Zagreb-Belgrade. La réalisation de ces projets a commencé, et nous donne l'espoir d'acquérir les bases d'un développement durable et solide. Nous souffrons d'un déficit d'échanges commerciaux, mais notre économie est assez diversifiée. Il y a ici un nombre non négligeable de petites et moyennes entreprises.
Est-ce que ces PME ne vont pas souffrir de la sortie de la Croatie du CEFTA [Central European Free Trade Agreement], ce marché commun qui rassemble des pays du sud-est européen non membres de l'UE ?
C'est vrai, mais elles ont eu le temps de s'y préparer. Prenez le cas de la Slovaquie. Elle a réalisé des profits inimaginables avec l'automobile et traverse plutôt bien cette crise. Pourtant, si on me laissait le choix entre être le premier ministre de la Slovaquie ou celui de la Croatie, je répondrais sans hésiter que je préfère être le premier ministre de la Croatie ! Pourquoi ? Parce que son économie est plus diversifiée. Les deux pays sont pratiquement au même niveau économiquement, mais la Slovaquie dépend trop des grandes industries.
Les négociations entre la Croatie et l'Union européenne pour restructurer les chantiers navals ont été extrêmement difficiles mais ils n'ont pas fermé, sauf un. Tous les autres ont été privatisés. Ainsi nous avons pu recevoir les subventions européennes. Et je peux dire aux citoyens croates : "Nous n'utiliserons plus votre argent pour soutenir à bout de bras une industrie à perte". Sans compter que les chantiers navals étaient le siège de la corruption. Les bateaux construits étaient livrés au-dessous du prix réel. Mais tous les sous-traitants des chantiers navals, faisaient, eux, de gros bénéfices, ce qui veut bien dire qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas ! Tout cela, c'est fini.
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