Brasilia (Brésil), envoyé spécial. Il aura suffi d'une augmentation de 20 centimes pour mettre le feu aux poudres. Lorsque les autorités de Sao Paulo ont décidé, le 2 juin, de faire passer le billet de bus de 3 à 3,20 reais (de 1,05 à 1,12 euro), elles étaient loin d'imaginer l'onde de choc qui allait s'ensuivre. Un début de fronde sociale s'est répandu en l'espace de quelques jours dans les principales villes du pays.
D'abord quelques centaines, puis plusieurs milliers de manifestants, très jeunes pour la plupart, ont battu le pavé contre la vie chère et pour exiger de meilleurs transports publics. Mais aussi pour critiquer la gabegie et les sommes colossales investies dans l'organisation des événements sportifs en cours ou à venir, alors que les services publics comme la santé et l'éducation sont dans un état déplorable. Un maelström de revendications, révélateur d'un profond malaise dans ce Brésil où la croissance économique donne de sérieux signes d'essoufflement, mais laisse également un goût amer à une frange toujours plus grande de la population.
"PRISE DE CONSCIENCE"
"Il y a une prise de conscience évidente de la nécessité d'entreprendre des réformes profondes dans les institutions, souligne le sociologue Ricardo Antunes, professeur à l'université de Campinas, dans le nord de Sao Paulo. Toutes ces questions dépassent le cadre de l'augmentation du ticket de transport."
Vendredi 14 juin, près de 400 militants du mouvement des Sem Teto, les "sans-toit", ont bloqué l'accès du stade de la capitale Brasilia pour réclamer des logements décents et décerner un "carton rouge" au Mondial 2014. Le lendemain, lors du lancement de la Coupe des confédérations, près de 1 500 manifestants ont été tenus à distance par les troupes de choc et la police montée. "Je renonce à la Coupe, je veux plus d'argent pour la santé et l'éducation", scandaient les protestataires. Certains arborant des affichettes "Pour un Brésil sans corruption". Au même moment, 8 000 personnes défilaient dans le calme à Belo Horizonte pour réclamer l'amélioration des transports. Encore dimanche, à Rio de Janeiro, une nouvelle manifestation aux abords du mythique stade Maracanã a été dispersée par des tirs de gaz lacrymogène.
Contraintes depuis des mois de répondre aux critiques sur les retards accumulés dans la rénovation des stades et la faiblesse des infrastructures, les autorités ont été prises de court. Cela tombe mal pour les dirigeants brésiliens, confrontés au ralentissement économique et à l'exigence de renvoyer l'image d'un pays débarrassé de sa violence avant la Coupe du monde 2014 et les Jeux olympiques de 2016.
La présidente, Dilma Rousseff, dont la cote de popularité a, pour la première fois depuis sa prise de fonctions en 2011, sensiblement baissé en juin, a défendu, jeudi, la Coupe du monde, qui permet au pays de gagner, selon elle, "une meilleure sécurité publique et des infrastructures améliorées". Sans convaincre les manifestants.
"LA COUPE COÛTE 33 MILLIARDS"
Le soir même, à Sao Paulo, la tension de la rue a connu son point d'orgue. Quelque 10 000 personnes s'étaient retrouvées devant le théâtre municipal, à l'appel notamment du Movimento Passe Livre (MLP, le Mouvement libre passage), un collectif créé à Porto Alegre en 2005 et l'un des principaux instigateurs de la contestation. Une pancarte résumait : "La Coupe coûte 33 milliards de reais, les Jeux 26 milliards, la corruption 50 milliards, le salaire minimum est à 678 reais : et vous pensez que nous manifestons pour 20 centimes ?"
Lorsque les manifestants se sont rapprochés de la grande avenue Paulista, les forces de l'ordre ont dispersé la foule avec une extrême brutalité. Plus de 240 personnes ont été arrêtées. Des dizaines de blessés ont été recensés, dont sept journalistes pour le seul quotidien Folha de Sao Paulo. Deux d'entre eux ont été atteints à la tête par des balles en caoutchouc.
L'événement fut jugé suffisamment sérieux pour que le grand quotidien change de ligne éditoriale. Alors que, la veille, il qualifiait encore en "une" les manifestants de "vandales", il titrait le lendemain sur les violences policières.
Fernando Haddad, l'une des nouvelles figures du Parti des travailleurs (PT, gauche au pouvoir), qui avait fait des transports – ironie de l'histoire – l'un de ses principaux arguments de campagne pour remporter la mairie de Sao Paulo en 2012, a lui aussi adouci son verbe. Sans toutefois renoncer à l'augmentation du prix du billet.
"Ils n'ont rien compris, analyse Lucia Farias, designer et manifestante pauliste. Les manifestations sont devenues le miroir de ce Brésil féodal et conservateur, où les politiques ne pensent qu'à la Coupe et aux Jeux pour en tirer le maximum de profits." D'après un sondage, une majorité des habitants soutient le mouvement, tout en rejetant les violences.
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