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La bouillie au chocolat de Serge Guérin

Le sociologue a consacré un essai au chocolat dans lequel il détaille son rôle de liant social. Surtout lorsqu'il prend la forme de la bouillie de son enfance.

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Publié le 25 mars 2015 à 10h18, modifié le 25 mars 2015 à 11h46

Temps de Lecture 2 min.

J'ai toujours aimé le chocolat, et j'en consomme autant maintenant que lorsque j'étais petit. Je l'aime sous toutes ses formes : solide, en bonbons, en gâteau, en mousse, en tarte, mais aussi liquide. Je ne bois pas d'alcool, ni de sodas, ni de café : je bois du chocolat, chaud ou froid. Quand je suis dans un bistrot et que je commande un Cacolac (cette boisson lactée et cacaotée créée en 1954 par deux familles d'Aquitaine), la plupart des gens comprennent Coca-Cola ou alors me regardent d'un air surpris, voire méprisant. Mais parfois, une petite lumière s'allume, une connivence s'établit, et le serveur, ou un voisin de table, souffle : « Moi aussi, j'adore ça, le Cacolac ! » Tout à coup, c'est comme si nous faisons partie d'un club secret... Ce n'est pas avec des sodas américains que l'on peut créer des liens comme ça !

Tout le monde aime le chocolat. C'est un produit consensuel et pourtant, dans mon cas, c'est souvent un sujet de controverse. Commander un chocolat plutôt que du vin, surtout avec le repas, et surtout pour un Français, c'est s'exposer à ce que les gens trouvent ça bizarre, asocial, me demandent si je suis malade, trouvent que ce n'est pas viril, m'assurent que je rate quelque chose... On me dit : « Il faudrait peut-être grandir ! » Mais je suis grand, j'ai dépassé la cinquantaine, et je continuerai toute ma vie à me délecter de bouillie au chocolat.

« Je la savourais en feuilletant  " Pif " »   

J'avais 2 ans lorsque ma mère m'a fait pour la première fois ce chocolat chaud épaissi à la Maïzena, et à peine 5 ou 6 ans lorsqu'elle m'a appris à le préparer tout seul. Je me levais le matin alors que toute la maisonnée dormait encore (j'ai toujours été lève-tôt), je faisais chauffer mon litre de lait, je mélangeais les ingrédients consciencieusement, et je savourais ma bouillie en feuilletant Pif. Parfois, j'en renversais, ou cela débordait, mais c'était le risque.

Comme souvent avec le chocolat, il y a dans la préparation de la bouillie un rapport au temps et à la patience qui participe directement de l'histoire. C'est tout un cérémonial bienveillant que j'ai perfectionné au fil des ans. Il faut savoir prendre le temps de touiller le cacao, le sucre et la Maïzena avec un peu de lait pour arriver à une crème épaisse et parfaitement lisse, puis l'incorporer au lait bouillant juste avant qu'il ne déborde. C'est une affaire de gourmandise autant que de sang-froid.

Aujourd'hui encore, je prépare toujours une bouillie le dimanche matin, pour toute la famille. Cela peut sembler régressif, mais c'est aussi le symbole de ma première prise d'autonomie. Mes enfants, qui sont grands maintenant, adorent ça, même s'ils n'en mangeront jamais autant que moi. Parfois, pour varier les plaisirs, j'ajoute un peu de cannelle, un soupçon de vanille ou quelques filaments de safran de Provence. Mais à part les épices, la bouillie est une recette immuable, un fil continu entre mon enfance, mon présent et ma vieillesse à venir. Car je sais que, même très vieux, je pourrai toujours en manger. C'est une pensée délicieusement réconfortante.

Eloge (politique) du chocolat, de Serge Guérin, Lemieux Editeur, 120 pages, 12 €.

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