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Mort du philosophe François Dagognet

Agé de 91 ans, l’homme a eu une carrière aussi atypique que sa formation puisqu’il fut aussi médecin et consultant auprès des prisonniers

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Publié le 04 octobre 2015 à 20h53, modifié le 04 octobre 2015 à 22h21

Temps de Lecture 3 min.

Né le 24 avril 1924 à Langres, la patrie de Diderot, dont le rapprochait notamment une curiosité encyclopédique, François Dagognet est mort, à Paris, le 2 octobre. D’origine modeste, il n’avait pas fait d’études secondaires, mais s’est ensuite plus que rattrapé, mettant les bouchées doubles, devenant à la fois agrégé de philosophie en 1949 et docteur en médecine en 1958, avant de poursuivre des études de criminologie, de neuropsychologie et de chimie.

Sa carrière est aussi singulière que sa formation, puisqu’il fut médecin au centre du Prado à Lyon, consultant auprès des prisonniers de la prison Saint-Paul, professeur de philosophie à l’université Lyon-III, puis à la Sorbonne, tout en présidant, de longues années, le jury de l’agrégation de philosophie.

Ce qui l’animait était d’abord un formidable appétit de savoirs, d’informations, de découvertes. Mais aussi de compréhension, ce qui le conduisait fréquemment à frayer des voies inédites plutôt qu’à suivre les sentiers balisés. Elève de Georges Canguilhem, marqué également par la pensée de Gaston Bachelard, François Dagognet a consacré à chacun d’eux un ouvrage. Sa double formation philosophique et scientifique l’a conduit logiquement à des travaux d’épistémologie de la médecine (La Raison et les remèdes, PUF, 1964, rééd. 1984) et de la biologie (Le Catalogue de la vie, PUF, 1984). Il y met l’accent, de manière singulière, sur la fécondité des classements, des listes, des tableaux qui paraissent habituellement dénués d’intérêt. Sans doute est-ce le premier trait à retenir : ce philosophe inventif trouvait de la pensée là où nul ne songe à la dénicher.

Au premier regard, la diversité des thèmes abordés par François Dagognet semble devoir donner le tournis. Au fil d’une bonne cinquantaine de volumes – publiés principalement aux Presses universitaires de France, à la Librairie philosophique J. Vrin, chez Odile Jacob et aux Empêcheurs de penser en rond –, il est question des techniques, de sciences, d’industrie, d’éthique, d’esthétique, de droit, de politique, d’économie et bien sûr de métaphysique… Aucun domaine ne semblait lui être étranger. C’est qu’il revendiquait pour le philosophe un rôle qui n’est pas celui « d’un mineur qui doit forer le sol », mais plutôt celui « d’un voyageur qui se soucie de l’ensemble du paysage. » Ce qui exigeait malgré tout une cartographie minutieuse et un arpentage précis que seuls des savoirs exacts permettent – y compris ceux de l’ingénieur, de l’artisan, du fabricant… qu’on oublie trop souvent.

Scruter le réel

Le fil rouge de ces périples philosophiques demeure en effet une attention extrême aux choses, depuis les objets manufacturés les plus banals jusqu’aux déchets, poussières et rebuts, en passant par les matériaux bruts que l’art contemporain retrouve et fait voir autrement. Dans cette manière très singulière de scruter le réel sous ses aspects infimes, on aurait tort de voir seulement un penchant personnel. C’était au contraire un choix philosophique crucial, comme l’expliquait François Dagognet dans un entretien publié par Le Monde en 1993 :

« Le monde des objets, qui est immense, est finalement plus révélateur de l’esprit que l’esprit lui-même. Pour savoir ce que nous sommes, ce n’est pas forcément en nous qu’il faut regarder. Les philosophes, au cours de l’histoire, sont demeurés trop exclusivement tournés vers la subjectivité, sans comprendre que c’est au contraire dans les choses que l’esprit se donne le mieux à voir. Il faut donc opérer une véritable révolution, en s’apercevant que c’est du côté des objets que se trouve l’esprit, bien plus que du côté du sujet. »

Se disant volontiers « matériologue », François Dagognet soulignait combien pauvre était la matière conçue par les matérialistes. Il définissait la matière comme « des forces qui passent à travers des processus très subtils » et concevait l’esprit comme « corps métamorphosé, redressé, amplifié, sauvé ». Confiant dans les progrès des sciences, défenseur ardent des techniques, de leurs bienfaits, de leur pouvoir émancipateur, il ne partageait rien des lamentations apocalyptiques dont l’air du temps est désormais saturé. Penseur du corps, du vivant, des matières, des objets, François Dagognet incarnait en fait – ceux qui l’ont connu le savent, ceux qui le lisent également – l’allégresse de la pensée.

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