« C’était lui ». Il est rare qu’un avocat prononce ce genre d’aveu à propos de son client. C’est pourtant la ligne de défense qu’a adoptée Judy Clarke, qui assure la défense de Dzhokhar Tsarnaev, accusé d’avoir participé aux attentats à la bombe lors du marathon de Boston en avril 2013, qui ont tué trois personnes et blessé 264 autres. « Dans les prochaines semaines, nous allons tous devoir être confrontés à un insupportable chagrin, à la douleur causée par une série d’actes dénués de sens et à une conduite dans laquelle deux frères se sont horriblement fourvoyés », a-t-elle convenu lors de l’ouverture des débats du procès, mercredi 4 mars devant la Cour fédérale de Boston.
Alors que Dzhokhar Tsarnaev, aujourd’hui âgé de 21 ans, endimanché dans sa veste grise et sa chemise blanche observe son avocate, celle-ci ne cherche pas à nier les évidences, qui ne vont cesser d’être étayées tout au long du procès par les procureurs. Tout semble en effet l’accuser. Comme cette vidéo le montrant en train de déposer le sac à dos qui contenait la bombe au pied d’un petit garçon de huit ans avant qu’elle n’explose. Comme ce message, écrit de la main du jeune homme à l’intérieur du bateau dans lequel la police l’a déniché au bout de trois jours de traque et qui sonne comme un aveu : « Le gouvernement américain tue nos civils innocents. (…) Nous, musulmans, sommes un seul corps, vous faites du mal à l’un de nous, vous nous faites du mal à tous. (…) Arrêtez de tuer nos innocents et nous arrêterons ».
Mais le propos de Judy Clarke n’a pas consisté à exempter le jeune homme d’origine tchétchène de ses responsabilités. La seule chose avec laquelle elle est en désaccord avec l’accusation réside dans le « pourquoi » de tels actes, a-t-elle expliqué. C’est la raison pour laquelle, tout au long du procès, elle va chercher à convaincre les douze jurés que Dzhokhar Tsarnaev n’est pas le jihadiste radicalisé dont l’accusation avait fait le portrait, quelques minutes auparavant. Sa thèse, c’est qu’il a été entraîné dans ce tourbillon de violence par son frère aîné, Tamerlan, tué lors de la traque qui a suivi les attentats.
Son but : éviter à son client la peine de mort qu’il encourt pour les 30 chefs d’accusation retenus contre lui. Judy Clarke est d’ailleurs l’une des meilleures spécialistes aux États-Unis de cette stratégie de défense. Elle avait ainsi réussi à éviter la peine capitale à Eric Rudolph, l’auteur de l’attentat des jeux Olympiques d’Atlanta en 1996 ou encore à Ted Kaczynski, plus connu sous le nom d’« Unabomber », cet anarchiste qui avait tué trois personnes grâce à des colis piégés. Encore faudrait-il que, pour éviter la mort, Dzhokhar Tsarnaev veuille bien plaider coupable, ce qui n’est pas le cas à l’ouverture du procès.
Propagande terroriste
Bien sûr, le procureur William Weinreb a dressé un tout autre portrait de l’accusé, « ils [les deux frères] étaient associés dans le crime, ils l’ont planifié ensemble et l’ont perpétré ensemble », a-t-il affirmé, en insistant sur le but qui « était de tuer autant de personnes que possible », laissant « certains blessés saigner à mort sur le trottoir pendant que l’accusé s’enfuyait ». Et puis il a raconté comment Dzhokhar Tsarnaev avait été capable d’aller acheter une bouteille de lait dans un supermarché, comme si de rien était, alors que, quelques minutes auparavant, il avait déposé en pleine foule le sac contenant la bombe. William Weinreb a enfin rappelé toute la propagande terroriste, qui a été retrouvée sur son ordinateur, à commencer par des exemplaires du magazine d’Al-Qaida, Inspire.
Cette première journée de procès a été également marquée, comme on pouvait s’y attendre, par une vive émotion. Le procureur a montré les photos souriantes et insouciantes des trois victimes qui ont perdu la vie : Martin Richard, 8 ans, Lingzi Lu, 23 ans et Krystall Campbell 29 ans, alors que leurs familles étaient dans la salle d’audience. Il y a eu également le témoignage de cette femme qui a perdu sa jambe gauche après la première explosion et qui a raconté comment elle a cru que sa dernière heure était venue lorsqu’elle a vu ses os sur le trottoir à côté d’elle.
Sean O’Hara, le responsable d’un magasin de sport situé à l’endroit de cette première explosion, lui, n’a pas été blessé, mais a raconté, des sanglots dans la voix les scènes d’horreur qu’il a vécues ce jour-là. « J’ai entendu la voix de quelqu’un qui me disait “restez avec moi, restez avec moi” », a-t-il expliqué après la projection d’une vidéo filmée à l’intérieur du magasin, dans laquelle on voit des gens en secourir d’autres en prenant les T-shirt en rayon pour en faire des garrots de fortune. « Pourquoi ? » La question de Judy Clarke était sans doute dans toutes les têtes au cours de ce premier jour d’audience. Les quatre mois que va durer le procès ne seront pas de trop pour tenter de commencer à y répondre.
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