Cinq jours après l’annonce erronée de la mort de Martin Bouygues par l’Agence France-Presse, les premières conséquences ont été actées avec la démission, jeudi 5 mars, du directeur de la Région France, Bernard Pellegrin, et du rédacteur en chef France, Didier Lauras.
A la tête de la Région France depuis 2012, M. Pellegrin est remplacé par Philippe Onillon, actuel adjoint à la direction de l’information, qui a pour mission de « tirer toutes les conséquences des dysfonctionnements qui se sont produits le samedi 28 février » et, « notamment, étudier les procédures d’alerte à suivre en cas de circonstances exceptionnelles », selon un communiqué.
En interne, cette double démission est interprétée comme le signe que la chaîne d’erreurs survenue le 28 février n’est pas uniquement le fruit de fautes de jugement individuelles, mais procède aussi d’un contexte organisationnel. « La question est notamment celle de savoir comment une grande agence mondiale travaille un samedi, avec quelle collégialité et quelle supervision », explique un journaliste. Celui-ci fait référence a une des failles apparues ce jour-là : la journaliste de permanence a pris seule la décision de publier la dépêche annonçant à tort la mort du PDG du groupe Bouygues. Dépêche reprise en boucle par les autres médias.
Cela peut signifier que la nécessité de consulter la haute hiérarchie du service ou de l’agence avant de diffuser une telle information n’était pas clairement établie. C’est en tout cas ce qu’il faut comprendre des mots d’ordre de la direction, qui estime qu’il faut rappeler cette nécessité, y compris à travers un programme de formation.
Mardi, le syndicat SNJ-CGT avait mis en garde contre la tentation de s’en tenir à une lecture individualisée des événements. Une lettre ouverte avait également circulé dans la rédaction pour défendre les agenciers impliqués dans la publication de la dépêche erronée.
Dans ce texte, des journalistes évoquaient « une erreur qui affecte chacun de nous et dont aucun de nous n’est à l’abri ». « Cet échec doit être assumé collectivement, y compris par la hiérarchie, et être l’occasion d’une vraie remise à plat de nos pratiques, et d’une réaffirmation de nos règles », estimaient ces agenciers, dénonçant « un quotidien de plus en plus marqué par la course à la rapidité et la pression induites non seulement par les réseaux sociaux, les sites Internet et les chaînes d’information en continu, mais aussi par la rédaction en chef et la direction ».
Cette double exigence, parfois contradictoire, de rapidité et de fiabilité, est au cœur des débats qui parcourent l’AFP, qui doit à la fois « dire juste » et « dire vite », comme l’avait rappelé François Hollande lors du 70e anniversaire de l’agence, en janvier.
« Ces dernières années, et notamment lors de la couverture de l’attentat de Charlie Hebdo, la hiérarchie a souvent “mis la pression” sur les services de production pour que ceux-ci donnent une information le plus vite possible – en dépit parfois d’éléments insuffisamment étayés – dès lors qu’elle était publiée par un autre média, et a déploré les retards dus au nécessaire recoupement des sources », lisait-on encore dans cette lettre ouverte, qui concluait que « la mise sous tension des journalistes au quotidien pour courir après [les réseaux sociaux] finit par créer de mauvais réflexes ».
« La fiabilité est la valeur numéro un à l’AFP, elle doit toujours primer sur la rapidité », a réaffirmé Michèle Léridon, la directrice de l’information – dont la démission a été refusée par le PDG, Emmanuel Hoog. Le nouveau directeur de la Région France, Philippe Onillon, devra ainsi « travailler (…) aux moyens de consolider nos règles en matière de sources et de vérification des faits dans un monde de l’information en pleine mutation ».
Cette double démission ne signifie pas la fin de l’affaire. « Les suites à donner au regard des responsabilités individuelles interviendront dans les prochains jours », souligne la direction de l’AFP, qui a conduit, depuis samedi, une enquête interne.
« Il aurait été impossible de prendre quelque sanction que ce soit sans qu’il y ait au préalable une prise de responsabilité à un certain niveau », décrypte un journaliste de l’agence, ajoutant que la hiérarchie de la Région France était de toute façon contestée de longue date, notamment pour s’être cassé les dents sur un projet de réforme des différents services. « Il fallait quelqu’un de nouveau pour mener la remise à plat des procédures et de l’organisation », estime ce journaliste.
Cette annonce a également contribué à réduire la pression pesant sur M. Hoog, qui s’était trouvé attaqué par un communiqué du SNJ-CGT exploitant une phrase prononcée en janvier par le PDG (« Ne soyez pas prisonniers de vos sources »). Le nom de M. Hoog est régulièrement cité parmi les postulants à la présidence de France Télévisions.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu