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Terrorisme : qu’est-ce que la fiche « S » ?

Contrairement à plusieurs idées reçues sur la fiche « S », cette dernière est d’abord un outil d’alerte pour les forces de l’ordre et non un motif d’enfermement.

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Publié le 16 octobre 2023 à 18h37, modifié le 16 octobre 2023 à 18h49 (republication de l’article du 31 août 2015 à 14h37)

Temps de Lecture 5 min.

Peu connue du grand public il y a encore une dizaine d’années, la fiche « S » (pour « sûreté de l’Etat ») est devenue un élément récurrent lorsqu’une attaque terroriste se déroule sur le sol français. Mais de quoi s’agit-il au juste ? Qui vise-t-elle ? Qu’implique-t-elle pour les personnes ainsi fichées ?

Environ 620 000 noms

La fiche « S » n’est en réalité qu’une des nombreuses catégories d’un fichier vieux de plus de cinquante ans : le fichier des personnes recherchées (FPR) – un terme générique puisque pour certaines catégories, il ne s’agit que de surveillance.

A l’exception des fiches « J » et « PJ », qui correspondent à des personnes recherchées par la justice ou la police, les fiches, y compris la « S », n’entraînent aucune action automatique de coercition à l’encontre d’une personne. Ces fiches ont surtout un rôle dans le cadre d’enquêtes, assure le ministère.

Créé en 1969, ce fichier comportait, en 2018, selon un rapport de l’Assemblée nationale, environ 620 000 noms, qu’il s’agisse de mineurs en fugue, d’évadés de prison, de membres du grand banditisme, de personnes interdites par la justice de quitter le territoire, mais aussi de militants politiques ou écologistes (antinucléaires, anarchistes, etc.).

Chaque catégorie possède une nomenclature, sous la forme d’une lettre : « M » pour les mineurs en fugue, « V » pour les évadés… Le FPR compte 21 catégories au total, selon la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui en fournit une dizaine d’exemples :

  • « E » (police générale des étrangers) ;
  • « IT » (interdiction du territoire) ;
  • « R » (opposition à résidence en France) ;
  • « TE » (opposition à l’entrée en France) ;
  • « AL » (aliénés) ;
  • « M » (mineurs fugueurs) ;
  • « V » (évadés) ;
  • « S » (sûreté de l’Etat) ;
  • « J » et « PJ » (recherches de police judiciaire) ;
  • « T » (débiteurs envers le Trésor)…

Un fichier désormais européen

Cette fiche contient, selon le décret de 2010 en vigueur, l’état civil, le signalement, la photographie, les motifs de recherche, la conduite à tenir en cas de découverte et quelques autres détails.

On donc peut être fiché dans le FPR pour une foule de raisons : judiciaires (si on fait l’objet d’une interdiction de sortie de territoire ou à l’inverse d’une obligation de le quitter), administratives (immigré clandestin, personne disparue…), fiscales (si on doit de l’argent à l’Etat), mais aussi « d’ordre public » : si l’on est soupçonné de terrorisme, ou d’atteinte à la sûreté de l’Etat, par exemple.

En outre, depuis la mise en place de Schengen, ce fichage n’est plus seulement français, mais européen : la plupart des pays membres de l’espace Schengen « versent » dans une base commune leurs fiches afin que les autres en bénéficient. Mais chaque pays peut également faire disparaître une fiche si elle l’estime caduque, la supprimant ainsi de toute la base de données.

« Menaces graves pour la sécurité publique »

C’est le plus souvent la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), le service du renseignement français, qui produit les fiches « S ». Mais une telle fiche peut être émise pour faire suite à des informations provenant d’autres pays ou dans le cadre de collaborations internationales : la personne visée peut ou non se trouver sur le territoire français.

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Dans la plupart des catégories du FPR, le fichage est le plus souvent subséquent à une décision administrative, judiciaire ou fiscale : on est fiché « T » si le fisc s’intéresse à nous, ou « V » si on s’est évadé de prison. Le cas de la fiche « S » est particulier : il s’agit de personnes que l’on (la France ou un autre pays, puisque ce fichage est européen) soupçonne de visées terroristes ou d’atteinte à la sûreté de l’Etat (ou de complicité), sans pour autant qu’elles aient commis de délit ou de crime. Elles peuvent ainsi être de simples relations d’un terroriste connu.

La loi est d’ailleurs floue à ce sujet : peuvent faire l’objet d’une fiche « S » toutes les personnes « faisant l’objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard ».

La fiche « S » est elle-même subdivisée en divers niveaux, qui ne correspondent pas au motif de fichage ou à la « dangerosité » d’une personne, mais plutôt aux actions à entreprendre pour les membres des forces de l’ordre en cas de contrôle (la conduite à tenir).

Un hooligan, un manifestant altermondialiste régulier ou un opposant actif à la construction d’une autoroute ou d’une mégabassine peut se retrouver « fiché S », au même titre qu’un fanatique djihadiste connu par les services de renseignement de dizaines de pays.

Impossible d’arrêter quelqu’un en raison d’une fiche « S »

S’il arrive qu’une personne soit « fichée S » dans le cadre d’une enquête et surveillée à ce titre, le fait d’être fiché n’entraîne, pour les autorités, aucune obligation de suivi ou de surveillance. On l’a dit, des fiches « S » sont émises sur transmission de renseignements provenant d’autres pays, sans que les personnes concernées soient forcément en France.

D’après un rapport d’information du Sénat de 2018, 29 973 personnes faisaient l’objet d’une fiche « S » au sein du FPR. Une même personne pouvant faire l’objet de plusieurs inscriptions, on dénombrait au total 30 787 fiches « S ». Parmi ces fiches, environ 17 000 concernaient des personnes appartenant à la mouvance radicale islamiste. Ces dernières ne se trouvent pas systématiquement en France et ne sont pas obligatoirement françaises.

En réalité, la fiche « S » a surtout un rôle d’alerte : en cas de contrôle d’identité, ou à un aéroport, par exemple, elle signale aux forces de l’ordre que des soupçons pèsent sur l’individu contrôlé, et que tout renseignement que l’on pourra obtenir est précieux. Mais on ne peut pas arrêter quelqu’un, et encore moins l’expulser, au simple motif qu’il fait l’objet d’une fiche « S ». Cela reviendrait à expulser toutes les personnes placées sur écoute par la justice au motif qu’elles sont sur écoute.

Une fiche temporaire

Faire l’objet d’une fiche « S » ne signifie pas non plus que l’on fait l’objet d’une surveillance active, mais qu’on a été, à un moment, soupçonné, pour des raisons qui peuvent être très diverses, de vouloir porter atteinte aux intérêts de l’Etat.

Dans bien des cas, le but du renseignement est de remonter des filières et de trouver d’autres contacts ; en somme, de procéder à des surveillances discrètes. Le plus souvent, les individus concernés ne savent pas qu’ils sont « fichés S ». Prévenir un terroriste soupçonné qu’il fait l’objet d’une surveillance en lui mettant un bracelet électronique n’est pas forcément une méthode efficace pour l’empêcher de nuire (ou empêcher ses complices d’agir).

Toutefois, ce mode de fonctionnement a un défaut : les fiches du FPR (et notamment les fiches « S ») sont temporaires. Si une personne fichée ne commet aucune infraction et se fait oublier, sa fiche sera effacée au bout de deux ans.

Une catégorie distincte, le FSPRT

A la suite des attentats de 2015, un autre système de surveillance a été créé, distinct des fiches « S » et plus spécifique : le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Créé par décret, ce fichier, protégé par le secret-défense, recense les informations (lieux de résidence, profession exercée, signes de radicalisation, etc.) de personnes engagées dans un processus de radicalisation et résidant en France.

A la différence des fiches « S » du FPR, il permet de suivre de façon permanente ces personnes signalées par les services territoriaux, les services de renseignement et même par des particuliers. Les personnes inscrites au FSPRT sont classées en six catégories, du « haut du spectre » au « bas du spectre », en fonction de leur niveau de radicalisation et du niveau du suivi qui leur est assigné.

Selon les chiffres énoncés le 16 octobre par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, 20 120 personnes étaient inscrites dans le FSPRT en 2022. Ce dernier a précisé que 5 100 fiches actives étaient en lien avec l’islamisme radical et que 1 411 personnes répertoriées étaient étrangères en situation irrégulière.

En dépit de leurs objectifs différents, le FPR et le FSPRT se sont rapprochés depuis cinq ans. D’après le rapport d’information du Sénat de 2018, il est « désormais procédé plus systématiquement à la création, par les services de renseignement, d’une fiche “S” au sein du FPR pour toute personne signalée pour radicalisation et inscrite au FSPRT. »

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