Le scandale de l’abattoir d’Alès (Gard), fermé à titre conservatoire après la révélation de conditions d’abattages indignes des animaux est un nouveau coup dur pour un secteur en difficulté.
Mais les abatteurs, dont le nombre diminue, s’estiment eux aussi en crise. Comment est organisé ce secteur qui représente 50 000 emplois en France, et qui a été souvent pointé du doigt ces dernières années au fil des scandales alimentaires ?
6,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires
Selon un rapport sénatorial de 2013, la France possède l’un des premiers cheptels en Europe, même s’il a diminué au fil des ans : près de 20 millions de têtes de bétail. Sur ce total, on compte 8 millions de vaches laitières ou allaitantes.
La seule production de viande issue de gros bovins (plus de 300 kg) et de veaux représentait 6,6 milliards d’euros de chiffres d’affaires hors subvention, soit environ 10 % de la production de la « ferme France ».
L’élevage et le fourrage pour les animaux occupent la moitié de la surface agricole utilisée en France. Cependant France ne couvre pas totalement ses besoins en viande bovine : chaque année, environ 400 000 tonnes sont importées.
Une filière très concentrée
Selon un autre rapport, de 2011 sur le secteur, on compte en France moins de 300 abattoirs (286 en 2011), contre 382 dix ans plus tôt. Un peu plus d’un tiers (102 établissements) sont dits « prestataires », dont 20 % sont publics, le reste privés.
L’abattage fut longtemps une affaire d’Etat et de bouchers. Ceux-ci avaient en effet des “tueries”, des espaces dédiés à l’abattage des animaux. Mais l’Etat a voulu, au début du XXe siècle, contrôler les conditions d’abattage des animaux pour des raisons d’hygiène, et a donc développé des abattoirs publics. Mais cette activité n’a cessé de décliner et ceux-ci, s’ils existent encore, ne représentent plus qu’une part très marginale de l’activité.
Aujourd’hui, on parle d’abattoirs « prestataires » pour ces anciens établissements publics. C’est le cas de celui d’Alès. Un « abattoir prestataire » fournit un service (abattage et découpe),à charge ensuite au client (des boucheries, par exemple) de revendre la viande obtenue. Ils sont très marginaux, avec seulement 8 % de la viande de boucherie, tout le reste étant traité par le privé.
Un abattoir privé, lui, achète les bêtes qu’il abat et les revend ensuite, souvent à de grands acteurs (grande distribution, restauration collective, etc.). Le privé traitait, en 2009, 17 266 tonnes de viande, contre 2 916 seulement pour les abattoirs prestataires.
Peu d’abattoirs privés sont très spécialisés, même si 127 d’entre eux pratiquaient à 50 % l’abattage de gros bovin, et 31 étaient exclusivement dédiés au porc (70 autres y consacrant la moitié de leur activité).
Parmi ces abattoirs privés, on compte 39 établissements dits “industriels”, dont quatre publics, dont 80 % de l’activité est consacrée aux bovins. A eux seuls, ils représentent 71 % du tonnage abattu en France.
Quatre groupes se partagent ce marché :
- Bigard-Socopa (19 abattoirs)
- Elivia (7 abattoirs)
- SVA (3 abattoirs)
- Tradival (trois abattoirs)
Mais c’est le groupe breton Bigard-Socopa (que les consommateurs connaissent par exemple avec la marque Charal) qui domine le marché, avec à lui seul 35,8 % du tonnage de viande et abat environ 30 000 animaux chaque semaine. Avec plus de 20 000 collaborateurs, Bigard Socopa est le premier groupe français et l’un des vingt plus importants dans le monde.
L’abattage industriel est surtout présent en France dans le « croissant laitier » (Bretagne, Normandie, Pays de Loire).
Les rôles d’un abattoir
Un abattoir reçoit donc des animaux vivants, et se charge de les tuer, puis de les découper. Les étapes successives passent par l’assomage de l’animal, sa levée sur une patte, sa saignée (qui le tue), l’ablation de la tête, la « dépouille » (récupération de la peau), l’éviscération, le prélèvement des abats, la « fente » (la carcasse est coupée en deux) et une inspection finale de la salubrité de la viande.
Cette étape (mort de l’animal et production des carcasses) est nommée « première transformation ».
Certains abattoirs se contentent de cette production, mais nombre d’autres, et notamment les plus gros, pratiquent également les deux autres, sur place ou dans des usines :
Deuxième transformation : désossage et découpe des carcasses.
Troisième transformation : mise sous barquettes d’une viande prête à cuire ou de produits élaborés (viande hachée, saucisse…).
A chaque étape, le poids de la matière récupérée diminue, le tout dépendant également de critères de qualité de la viande (engraissement notamment).
Les abattoirs produisaient également la VSM, ou viande séparée mécaniquement, à partir des résidus obtenus à différentes étapes : pour le bœuf, on récupère et on agrège les morceaux collés aux os, pour la volaille, la carcasse elle-même est broyée, voire « attendrie » à l’aide de produits. La pratique est officiellement bannie en Europe depuis les scandales de la « vache folle », mais l’actualité montre que quelques enseignes continuent ces pratiques, y compris en France.
La loi impose depuis 2002 un étiquetage précis sur les viandes vendues au détail et non transformées : un numéro permettant d’identifier l’animal ou le groupe d’animaux, la mention du pays d’abattage, et du pays de découpage. Mais cet étiquetage n’a pas suffi à empêcher d’autres scandales :
L’affaire Spanghero (de la viande de cheval dans les lasagnes) a mis en lumière un autre produit industriel : le « minerai de viande », une masse agglomérée de résidus de viande (les « bas morceaux ») récupérés aux diverses étapes, mais non issu d’une « séparation mécanique ». Ce « minerai » peut provenir de plusieurs carcasses, qui peuvent elles-mêmes provenir de plusieurs pays, et est ensuite fourni à l’industrie agroalimentaire.
Une filière en berne
Selon un autre rapport, produit en 2010 par le délégué interministériel aux industries agroalimentaires, Philippe Rouault, l’industrie de la viande n’est pas caractérisée par des marges élevées : le résultat net de la filière viande serait estimé à environ 1,3 % du chiffre d’affaires.
Mais la filière pèse. Elle compte pour 18,5 % de la valeur ajoutée totale des industries alimentaires françaises. Si cette marge a progressé de 40 % en dix ans, les charges des entreprises ont connu la même progression, du fait notamment des normes sanitaires.
Parmi les difficultés de la filière, la taille de ses entreprises – avec notamment beaucoup de petites structures –, et malgré un nombre important de grandes structures, qui peinent à se rentabiliser, les plus rentables sont les structures de taille moyenne.
La viande française peine à s’exporter, là où la filière du lait est bien plus dynamique. Toujours selon le rapport Rouault, la part de marché de la viande française en Europe est passée, entre 2004 et 2009, de 6,3 % à 4,7 %, quand celle des viandes allemandes passait, à l’inverse, de 7,7 % à 9,6 %.
L’Allemagne exportait, en 2009, deux fois plus de viande que la France (6,1 milliards d’euros contre 3 milliards d’euros), notre pays étant situé derrière les Pays-Bas ou le Danemark dans ce domaine.
Les groupes français des filières viande visent en réalité avant tout le marché intérieur. Le taux d’exportation n’est que de 8 %, alors qu’à l’inverse, la France continue d’importer de la viande pour sa consommation intérieure.
L’effet des travailleurs détachés. Les représentants du secteur sont unanimes à voir dans le coût du travail le principal élément d’explication à leurs difficultés. Selon eux – et les témoignages de représentants français –, l’Allemagne a recours massivement à des sociétés de prestation de service, qui emploient du personnel originaire de l’est de l’Europe, et qui sont payées aux minima sociaux de leur pays d’origine. Les témoignages évoquent 7,5 euros de l’heure, un coût inférieur de moitié à celui d’un salarié allemand.
Cette rentabilité fait des envieux, puisqu’environ 20 % des carcasses françaises seraient découpées en Allemagne.
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