Nombre d’espèces animales et végétales tentent de s’acclimater à la hausse de la colonne de mercure en migrant vers les pôles, à des latitudes plus fraîches, ou en gagnant les hauteurs, à la recherche de températures mieux adaptées à leur cycle biologique. Rien de tel chez les bourdons d’Europe et d’Amérique du Nord. Faute d’adopter cette stratégie de survie, ils voient leur aire de répartition, c’est-à-dire le territoire où ils évoluent, rétrécir comme peau de chagrin.
C’est ce que met en évidence une étude internationale (Canada, Royaume-Uni, Belgique, Allemagne, Etats-Unis) publiée, vendredi 10 juillet, dans la revue Science. Les auteurs ont compilé plus de 420 000 données d’observation, issues des inventaires et des collections des musées, sur 67 espèces de bourdons, dont 36 présents en Europe et 31 en Amérique du Nord. Ils ont comparé les archives couvrant la période de 1901 à 1974, et les relevés plus récents, effectués entre 1975 et 2010.
Les résultats sont catastrophiques. Non seulement les bourdons ne se sont pas déplacés vers le Nord au cours des dernières décennies – les plus chaudes –, au contraire d’autres insectes, mais, de surcroît, ils ont disparu des zones les plus au Sud et les plus chaudes. Au final, leur domaine de vie s’est contracté de 300 kilomètres, sur l’un comme l’autre des deux continents.
Pollinisateurs très actifs
« L’ampleur et le rythme de ces pertes sont sans précédent », souligne le premier auteur de l’étude, Jeremy Kerr, professeur de biologie à l’Université canadienne d’Ottawa. Le constat est d’autant plus alarmant que les bourdons, qui font partie de la grande famille des abeilles sauvages, sont de très actifs pollinisateurs, au rôle crucial pour les cultures et la sécurité alimentaire.
Est-ce à dire que le réchauffement est le seul ou même le premier responsable du déclin des populations de bourdons ? Un état des lieux dressé en 2014 par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a montré l’importance de cette érosion : sur les 68 espèces présentes en Europe, 30 sont en recul ou menacées d’extinction.
Les auteurs indiquent n’avoir trouvé aucune corrélation entre le repli des pollinisateurs et l’épandage de pesticides – documenté dans leur travail depuis 1991 et pour les seuls Etats-Unis –, pas plus que le changement d’affectation des sols. Dans un communiqué, l’Université d’Ottawa conclut que « le déclin rapide des espèces de bourdons est causé par le changement climatique ». L’Université américaine du Vermont renchérit : « La nouvelle étude montre que les coupables ne sont pas les pesticides ni les changements d’usage des sols. Clairement, c’est le climat. »
C’est aller un peu vite en besogne. « Il est étonnant de s’intéresser dans une même étude à l’effet du climat, qui joue à de grandes échelles spatio-temporelles, et à celui des néonicotinoïdes [insecticides mis en cause dans le déclin des abeilles], qui se manifeste à une échelle régionale, depuis les quinze dernières années », commente Mickaël Henry, de l’unité abeilles et environnement de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui n’a pas participé à ce travail.
Impact des néonicotinoïdes
Ce mélange d’échelles, poursuit le chercheur, occulte l’impact récent des pesticides sur les pollinisateurs. Or, « il existe un consensus scientifique pour considérer que le déclin des abeilles est un processus multifactoriel, combinant un ensemble de stress : pesticides, pathogènes, régression des ressources et des habitats naturels »… De nombreux travaux ont établi le caractère délétère des néonicotinoïdes pour les colonies de bourdons, ces molécules chimiques, précise M. Henry, altérant « leur santé, leur taux de reproduction et donc leur abondance ».
Autrement dit, établir la responsabilité du réchauffement dans la régression de l’aire de répartition du bourdon depuis un siècle ne disculpe en rien les pesticides, pour les hémorragies actuelles d’insectes butineurs. « Ce n’est que sur le long terme que l’on connaîtra l’effet de ces substances – si elles sont toujours utilisées – sur la distribution géographique des abeilles sauvages, ajoute le chercheur. On pourrait alors voir des espèces disparaître de régions entières. »
L’étude de Science ne manquera pas de faire le miel des industriels de l’agrochimie, prompts à désigner d’autres fautifs des malheurs des pollinisateurs que leurs produits. Mais elle est à prendre avec des pincettes… d’entomologiste.
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