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Nobel de chimie : la réparation de l’ADN à l’honneur

Trois chercheurs sont distingués pour leurs travaux qui ont de fortes implications dans les recherches sur les cancers et le vieillissement.

Par  et

Publié le 07 octobre 2015 à 18h02, modifié le 07 octobre 2015 à 20h41

Temps de Lecture 4 min.

Illustration de la double hélice de l'ADN.

Le trio récompensé, mercredi 7 octobre, par le prix Nobel de chimie, a travaillé sur le même thème : les mécanismes moléculaires permettant la réparation de l’ADN et la protection de l’information génétique. Le pionnier est sans conteste le Suédois Tomas Lindahl (Institut Francis Crick et laboratoire Clare Hall, Hertfordshire, Royaume-Uni), né en 1938.

Récompensé par l’Inserm dès 2008, il a montré que l’ADN se dégradait à un rythme qui, sans mécanisme de réparation, aurait été incompatible avec le développement de la vie sur Terre, avant d’élucider l’une des manières dont les altérations du génome peuvent être corrigées.

Ses travaux ont été prolongés par le Turco-Américain Aziz Sancar (université de Caroline du Nord, Chapel Hill, Etats-Unis), son cadet de huit ans, qui a démontré comment les lésions produites par le rayonnement ultraviolet (UV) sont rectifiées. Enfin, né comme Sancar en 1946, l’Américain Paul Modrich (Institut médical Howard Hughes et Université Duke, Durham, Caroline du Nord) s’est illustré en expliquant comment les cellules réparaient les erreurs survenant dans la réplication de l’ADN.

Dégradation de l’ADN

Jusqu’à la fin des années 1960, les scientifiques pensaient que l’ADN était stable, voire inerte. En effet, d’une génération à la suivante, la molécule qui est le support de l’hérédité paraissait se conserver immuablement. Chaque individu est le produit de la combinaison entre 23 chromosomes issus du père et autant issus de la mère. La cellule originelle se divise en cellules filles et chacune contient dans son noyau l’exacte réplique du génome de départ.

Il existait bien des mutations expliquant l’évolution des caractères exprimés au sein de l’espèce. Mais le développement d’organismes multicellulaires et leur persistance depuis des millions d’années imposaient une stabilité de l’ADN au cours de l’existence de l’individu. Or, alors qu’il effectue son post-doctorat à l’université de Princeton (Etats-Unis) Tomas Lindahl constate que l’ARN se dégrade rapidement lorsqu’il est chauffé. Cette molécule est certes plus fragile que sa cousine, l’ADN, mais cela l’incite à voir ce qu’il en est pour ce dernier.

Agressions tout au long de la vie

C’est là qu’il découvre que l’ADN est soumis à des agressions tout au long de la vie : l’exposition excessive aux rayonnements UV du soleil, la fumée de tabac, de nombreuses autres substances présentes dans notre environnement. Ces agressions peuvent entraîner des lésions susceptibles de modifier le fonctionnement normal de nos cellules et provoquer des mutations responsables de cancers. Pour corriger ces mutations, un ensemble de systèmes moléculaires contrôlent et réparent l’ADN. C’est sur ces différents systèmes de réparation que Tomas Lindahl, Aziz Sancar et Paul Modrich ont travaillé, en les cartographiant.

Ces travaux ont aussi des implications en cancérologie. Ainsi, 2 à 5 % des cancers colorectaux sont liés à une altération génétique constitutionnelle d’un gène impliqué dans le système d’identification et de réparation des mésappariements de l’ADN, appelé le système MMR pour MisMatch Repair, décrit par Aziz Sancar. Par ailleurs, les mutations des gènes BRCA1 ou BRCA2, gènes qui participent à la réparation des lésions que l’ADN subit régulièrement, peuvent perturber cette fonction et du coup accroître le risque de cancer du sein et de l’ovaire. Des mutations d’autres gènes impliqués dans la réparation de l’ADN ont aussi été identifiées.

Pistes de recherche

Le principe des chimiothérapies consiste à induire des lésions dans l’ADN des cellules tumorales afin de stopper leur prolifération. Le fait de bloquer les mécanismes de réparation de l’ADN permettrait de potentialiser la chimiothérapie en diminuant la résistance des cellules au traitement. C’est ce qu’avait montré une équipe dirigée par Frédéric Coin, directeur de recherche Inserm à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire de Strasbourg (Unité mixte Inserm/CNRS/Université de Strasbourg). Les pistes de recherche sont nombreuses, tant pour les traitements que pour les tests prédictifs. L’un des systèmes de réparation de l’ADN est décrit dans un film réalisé par l’Inserm.

Les agressions causées sur l’ADN peuvent aussi entraîner des lésions qui accélèrent le vieillissement de l’organisme. Des chercheurs (Institut Pasteur, CNRS, CEA et Institut Gustave Roussy) ont par exemple récemment montré dans une étude publiée en mai dans PNAS Plus que l’accumulation d’une protéase (HTRA3) dans les cellules des enfants atteints du syndrome de Cockayne pouvait éclairer le mécanisme du vieillissement en général.

Un prix attendu depuis longtemps

Les chercheurs interrogés se félicitent du choix du jury Nobel. Pour Jean-Marc Egly (directeur de recherche Inserm à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire, Strasbourg), « ce prix Nobel était attendu depuis très très longtemps. La compréhension des mécanismes moléculaires de réparation de l’ADN représente une découverte fantastique. Ce sont trois excellents chercheurs et Tomas Lindahl a apporté une contribution qui le place en haut de l’affiche. »

Distingué en 2008 en France par le prix international de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Tomas Lindahl a d’ailleurs décrit ce mécanisme dans un article publié en 2012 « Mon voyage vers la réparation de l’ADN ». « Ce prix aurait dû être donné avant », a aussi constaté Miria Ricchetti, responsable d’une équipe de recherche « génomes et génétique » (CNRS, Institut Pasteur). « Le sujet de la réparation de l’ADN est très important. On peut faire une métaphore avec une autoroute, qui, si elle est bloquée, interdit toute circulation », résume la chercheuse.

Le destin le plus original du trio de chercheurs récompensés est celui d’Aziz Sancar, né à Savur, petite ville du sud-est de la Turquie, au sein d’une famille modeste de huit enfants, comme le rapporte l’AFP. Il aurait pu devenir footballeur professionnel, puisque l’équipe « national juniors » pensait à lui comme gardien de but, mais il a décidé de se concentrer sur ses études. Après avoir exercé comme médecin de campagne en Turquie, il avait repris des études de biochimie à 27 ans, puis rejoint l’université du Texas à Dallas. Il enseigne aujourd’hui à celle de Chapel Hill.

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