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Les tribus de la mode

Dans le melting-pot des collections parisiennes, on distingue des clans, fédérés autour d’un designer et entretenus par les réseaux sociaux.

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Publié le 02 octobre 2015 à 08h55, modifié le 02 octobre 2015 à 10h47

Temps de Lecture 4 min.

Allemande, britannique, chinoise, hollandaise, colombienne, américaine, suédoise, française… Le calendrier des défilés parisiens est le seul à réunir toutes ces nationalités. De ce mélange contrasté naissent naturellement des « familles ». Celles des designers mais aussi celles de leurs publics. Le succès grandissant des réseaux sociaux comme Instagram a accentué cette culture clanique en connectant directement les fans aux marques et aux designers. A Paris, on croise donc des tribus stylistiques comme nulle part ailleurs.

Celle de Rick Owens a toujours l’air échappée de Mad Max, shootée à une poésie menaçante. Souvent, les puristes arrivent au défilé en grosses bottes à lanières, longs tee-shirts et pantalons de cuir, la silhouette Rick Owens de base. Mais ce designer américain sait faire autre chose et le prouve avec sa collection d’été. Les manteaux fluides aux carrures acérées croisent des robes courtes aux volumes de conques primitives. Les corps imposent leur présence : certaines filles passent attachées ensemble dans des postures acrobatiques qui rappellent les meubles sculptures d’Allen Jones. Critique de l’humain traité comme un accessoire ? Expérience sur l’attachement sentimental ? Fantasme sexuel ? Rick Owens aime triturer le corps et l’esprit et ne déteste pas la provocation. Ce happening ne fait qu’ajouter à son aura de designer underground.

Rick Owens.

Le club des « glamazones » de Balmain est loin de cet univers. A 30 ans, le directeur artistique Olivier Rousteing est une star des réseaux sociaux avec une «#balmainarmy » de 1,3 million d’abonnés sur Instagram. Autour de lui, il a fédéré les gamins qui font la queue devant ses défilés pour apercevoir des célébrités comme Kim Kardashian. Malgré les critiques, il a transformé la maison en griffe de luxe populaire et sa prochaine collaboration avec la chaîne H&M (lancée le 5 novembre) entérinera ce statut. Sa collection est une expression toute en courbes de sa vision. Ici, les filles ont des seins et des fesses, une silhouette carénée dans le veau velours et la mousseline volantée. Les jupes sont marquetées de cristaux de couleur et les robes fourreaux tressées dans le cuir façon étui massaï. Cette tribu glamour et sexy représente un luxe moins élitiste, plus en chair et médiatique.

Balmain.

L’esprit est plus couture chez Lanvin où Alber Elbaz rassemble depuis plus de dix ans sa tribu très identifiable de bourgeoises déjantées qui compilent les bijoux sur des robes et des smokings en satin à ourlet effrangé. La Maison européenne de la photographie lui consacre d’ailleurs en ce moment une exposition. Cette saison, elles évoluent dans un décor urbain, dans des ensembles monochromes qui concilient ligne tailleur et volume flou, des tweeds qui s’effritent et des jupes faussement décousues d’où s’échappent des rubans. Les robes de ballerine asymétriques croisent les fourreaux découpés sur corset rose peau. C’est dans ces silhouettes simples et sophistiquées à la fois que s’exprime le mieux la nature de ces femmes laissant derrière elles le sillage d’un parfum capiteux et des éclats de rire sonores.

Lanvin.

Chez Chloé, se retrouvent des femmes plus éthérées : elles aiment les années 1970, les grandes blouses vaporeuses et les bottes à gros talons ; elles sont souvent blondes aussi. Mais la marque cherche cette saison d’autres signes de reconnaissance, comme ses nouvelles bagues initiales, passées aux doigts des « Chloé girls ». Elle explore également d’autres pistes stylistiques, moins sages que d’habitude. Les vestes de sport rétro associées aux grandes jupes à fleurs ont un ton néogrunge intriguant mais les drôles de pantalons de zouave plissés et imprimés, les pulls effets scoubidou et les robes salopettes ne sont pas convaincantes. Mieux vaut la fidèle « Chloé girl » avec ses grandes tuniques en dentelle et ses robes en mousseline pastel.

Chloe.

Faire évoluer une tribu n’est pas simple, mais c’est ce que réussit Sébastien Meunier chez Ann Demeulemeester. A la poésie sensible de la fondatrice qui a constitué une tribu urbaine et « rimbaldienne », il ajoute des notes plus sexy. Les filles passent en tee-shirts noirs transparents, harnais de cuir de laque soulignant les seins sous des vestes tailleur, ou en longues robes de mousseline travaillées en volutes de fumée. Les notes de vert et jaune illuminent ce vestiaire qui électrise l’héritage de la maison.

Chez Paco Rabanne, le talentueux Julien Dossena a lui aussi un patrimoine à gérer, celui d’une maison au style futuriste, adepte de la cotte de mailles dont il doit inventer le nouveau fan-club. Il y a beaucoup d’idées dans sa collection : mini-robe bustier à micro-œillets, tunique façon combinaison de moto, combishort en éponge, jupe en maille métallique… le créateur va devoir choisir quelques codes forts et précis pour fédérer durablement.

Chez Carven, les deux nouveaux designers Alexis Martial et Adrien Caillaudaud proposent une mode graphique très différente de l’ancienne ligne féminine et légèrement rétro. Le changement peut être sain mais ici les volumes géométriques, les chemises à motifs arty, les longs pantalons taille haute et les souliers cubistes évoquent de trop près le travail de Nicolas Ghesquière, lui-même « gourou » d’une bande de fans de sa mode pointue. Parce que tous ceux qui s’intéressent au style sont surinformés grâce à Internet, s’attribuer la tribu d’un autre s’avère difficile. Ce système clanique hautement médiatique peut aussi protéger les signatures. Une sorte de copyright sous surveillance virtuelle.

Alber Elbaz/Lanvin manifeste, Maison européenne de la photographie, 5-7 rue de Fourcy, Paris 4e. Jusqu’au 31 octobre, www.mep-fr.org

 

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