Aussitôt annoncée, la nouvelle a pris comme une mayonnaise qui est montée jusque dans les pages du New York Times : René Redzepi, le célèbre chef danois qui a révolutionné la cuisine contemporaine, va fermer son restaurant de Copenhague. Fin 2016, le Noma – établissement si couru qu’il fallait attendre parfois jusqu’à un an pour s’y attabler – n’existera plus… du moins sous sa forme actuelle : le chef va le transformer en « ferme urbaine ». Elle sera située dans un îlot de verdure près de Christiania, quartier « libertaire » de la capitale danoise qui fut créé par une communauté hippie dans les années 1970.
L’instigateur de la vague nordique et empereur du « locavorisme », c’est-à-dire d’une cuisine n’utilisant que des produits de proximité, entend pousser encore plus loin les limites de son dogme : flottant sur l’eau, entouré et surplombé de potagers et de serres, le nouveau Noma devrait devenir l’incarnation même du concept de « kilomètre zéro ». En écho aux saisons, le menu sera centré sur les poissons et les fruits de mer en hiver, deviendra intégralement végétarien au printemps et en été, lorsque les légumes foisonnent, pour s’orienter à l’automne vers le gibier et les produits de la forêt.
Une redéfinition du concept de restaurant
On imagine bien que tous les ingrédients ne pourront provenir uniquement, loin de là, du restaurant-ferme lui-même. Mais cette annonce théâtrale et fort anticipée est révélatrice d’une époque. « Aujourd’hui, tout le monde rêve d’avoir son jardin », estime Andrea Petrini, journaliste culinaire et président France des World’s 50 Best Restaurants, le fameux classement britannique qui a élu Noma « meilleur restaurant du monde » à quatre reprises. « Il y a de plus en plus de végétaux dans les menus, et de plus en plus de chefs qui cherchent à redéfinir ce qu’est un restaurant. »
Même s’il promet une ferme urbaine spectaculaire, René Redzepi n’est pas le premier à se rapprocher ainsi de la terre. Dès 2002, le chef parisien triple-étoilé Alain Passard, réputé pour ses talents de rôtisseur, a effectué un virage spectaculaire vers les légumes et fait l’acquisition de jardins potagers pour alimenter les cuisines de L’Arpège.
A New York, cela fait plus de dix ans que l’érudit Dan Barber, à la tête du restaurant Blue Hill, a créé une extension « fermière » de son adresse citadine. A moins d’une heure de la métropole, il a installé sa cuisine au cœur de Stone Barns, une ferme écologique et pédagogique, en s’adaptant à son rythme de production.
Un outil de communication efficace
En plein Brooklyn postindustriel, Carlo Mirarchi a depuis belle lurette planté un jardin sur le toit de son restaurant Roberta’s. Il y a trois ans, le chef belge (d’origine coréenne) Sang-Hoon Degeimbre déménageait son restaurant L’Air du Temps dans une vaste ferme cernée de cinq hectares de cultures potagères. Mauro Colagreco à Menton, Eneko Atxa en Espagne, Armand Arnal en Camargue, Yannick Alléno sur les toits de la Mutualité à Paris : un nombre croissant de chefs s’est mis à cultiver (ou plutôt à faire cultiver) leurs jardins, habités par l’envie de verdir leurs menus comme leur discours.
Chefs fermiers, circuits ultracourts, primeurs « en direct du potager »… Les assiettes en sortiront-elles encore plus créatives et plus goûteuses ? Cela reste à voir. A l’heure où rien n’est plus tendance que de plonger ses mains dans l’humus et de pratiquer l’agriculture urbaine, c’est d’abord un excellent outil de communication.
« Pour René Redzepi, assure Andrea Petrini, c’est une manière d’évoluer, de changer la physionomie de sa cuisine, de se réinventer tout en continuant à cogiter. » Chercheur et défricheur infatigable, entouré d’une équipe de choc, le chef danois est sans conteste bien placé pour faire germer de nouvelles idées comme d’incroyables légumes.
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