UNE vieille Cadillac décapotable vert et or roule en cahotant dans le désert. On la repère de loin grâce à son gyrophare, à la musique techno crachée par les haut-parleurs arrimés au capot, et aux cris poussés par ses occupants, cinq hommes et femmes au visage couvert de peintures de guerre. A l'arrière, le coffre a été remplacé par une lourde plate-forme surmontée d'un totem haut de trois mètres. Une jeune fille nue, en sueur, grise de poussière, y est crucifiée, pieds et poings liés. La Cadillac fonce vers une colonne de camions venant en sens inverse, puis s'arrête brutalement pour leur barrer la route. Un passager grimpe sur le totem pour délivrer la jeune fille, qui saute de son perchoir en riant, court vers l'un des camions arrêtés, fait descendre le chauffeur et lui donne l'accolade : « Bienvenue à Burning Man. Comment tu t'appelles ? » Les autres occupants de la Cadillac s'approchent à leur tour. Les hommes portent des uniformes de l'US Army sales et déchirés, le plus âgé n'a pas de pantalon. L'une des femmes est habillée en gitane, l'autre est nue, avec des lunettes d'aviateur sur la tête et un stéthoscope autour du cou. Ils se mettent à danser entre les camions, en se passant une bouteille : « C'est du whisky mélangé à du beurre de cacahuète. Très nourrissant. » Puis, calmement, ils vont serrer la main des gens descendus des camions : « Si vous allez à Burning Man, vous êtes arrivés. Quelqu'un a envie d'être crucifié ? »
Comté de Pershing, nord-ouest du Nevada, fin août. Comme chaque année depuis dix ans, des milliers d'Américains de tous âges et de toutes conditions, entassés dans des voitures et des camions surchargés, roulent dans le désert de Black Rock, un vaste plateau aride encadré de montagnes : aucun point d'eau, pas un brin d'herbe, seulement une terre craquelée, recouverte d'une fine poussière qui part en tourbillon au moindre coup de vent. Ils viennent en majorité de Californie, à quelques heures de route, mais certains arrivent de l'autre bout du pays et conduisent depuis des jours. Ils transportent des milliers de tonnes de vivres et de matériel, car ils vont construire de toutes pièces une ville éphémère, où tout sera gratuit, où la liberté d'expression et de création sera absolue, et où chacun pourra vivre ses fantasmes, sans limite et sans pudeur.
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