La réalisatrice Solveig Anspach avait été révélée en 1999 par son premier long-métrage de fiction, Haut les cœurs !, qui racontait la traversée du cancer par une jeune femme, enceinte. Le film était inspiré de l’expérience de la cinéaste, qui avait gagné une rémission avant que le cancer ne revienne et ne concède d’autres sursis. Le dernier a pris fin, vendredi 7 août, dans une maison de la Drôme, où Solveig Anspach est morte à 54 ans.
Par son succès, son intensité, Haut les cœurs ! fait un peu d’ombre au parcours singulier de la cinéaste. Le film avait rencontré un succès public inattendu avant de collectionner les nominations aux Césars et d’en rapporter un à son interprète principale, Karin Viard.
On avait alors découvert cette jeune cinéaste, sortie de la Fémis, l’Ecole nationale supérieure des métiers de l’image et du son, une décennie auparavant et qui, jusqu’alors, avait réalisé des documentaires. L’un d’eux était intitulé Vestmannaeyjar, du nom de l’île islandaise où elle est née, le 8 décembre 1960. Sa mère, islandaise, avait rencontré à Paris son père, né à Vienne, qui avait fui le nazisme pour s’engager dans l’armée américaine et débarquer en Normandie. Il étudiera ensuite à Paris. Après un intermède new-yorkais, les Anspach s’y sont établis, chassés des Etats-Unis par le maccarthysme.
Une carrière entamée avec des documentaires
Solveig Anspach a raconté que son père ne l’avait pas encouragée à faire du cinéma. Elle a plutôt écouté sa mère qui lui disait : « Les filles peuvent tout faire, mais il faut être plus tenace que les hommes. » Tenace, elle l’a été puisqu’elle s’y est prise à trois fois pour entrer à la Fémis. Quand elle en sort, en 1990, elle réalise des documentaires. Sur son île natale, sur Sarajevo, alors en guerre, sur un gang de mères devenues braqueuses (Que personne ne bouge).
C’est à ce moment qu’elle est atteinte d’un cancer du sein. Plutôt que de filmer sa maladie, elle décide d’en faire une fiction. Pour que ce film soit « beaucoup plus que mon histoire, parce que, si celle-ci n’a rien d’exceptionnel, elle concerne malheureusement beaucoup de monde. Et, à cette époque-là, on n’en parlait pas assez », expliquait-elle récemment.
Pour son film suivant, Made in the USA, codirigé avec Cindy Babski, présenté à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes en 2001, elle revient au documentaire pour analyser le système judiciaire américain, ses failles meurtrières. On retrouvera cet élan militant dans la biographie de Louise Michel qu’elle réalise pour la télévision en 2008.
Mais, côté fiction, c’est la comédie qui l’emporte souvent. Après le sombre Stormy Weather (2003), tourné en Islande, elle entame sa « trilogie fauchée », dont les deux premiers volets ont pour titre Back Soon (2007) et Queen of Montreuil (2012) et en commun une impressionnante actrice islandaise, Didda Jonsdottir, qui serait comme l’incarnation exubérante du principe vital de la cinéaste. Ces derniers jours, Solveig Anspach travaillait encore au montage du dernier film de ce triptyque, L’Effet aquatique, dans lequel on retrouvera, outre Didda Jonsdottir, les acteurs de Queen of Montreuil (ville où la réalisatrice a passé sa vie d’adulte).
Le succès de « Lulu femme nue »
Entre-temps, il y aura eu Lulu femme nue et son succès. Solveig Anspach y dirigeait à nouveau Karin Viard, et racontait encore une fois une histoire triste. « Lulu n’est pas une guerrière comme Emma dans Haut les cœurs, c’est une femme plutôt effacée, qui a été cadenassée dans le quotidien, mais, comme Emma, elle veut vivre », expliquait la réalisatrice lors de la sortie du film, en 2014.
Patrick Sobelman, qui a produit tous les films de Solveig Anspach depuis Haut les cœurs ! (à l’exception de Lulu femme nue) avec la structure Agat-Ex Nihilo, fait remarquer que la cinéaste ressemblait aux deux veines de sa fiction « à la fois triste et douce, et d’une grande force, d’une grande joie ». Cette force s’est traduite par une boulimie de travail. Outre L’Effet aquatique, Solveig Anspach avait déjà écrit un long-métrage très ambitieux, qu’elle aurait dû tourner en 2016.
Interrogée par Le Monde début 2014, sur les raisons de cette frénésie de projets, elle avait répondu : « Ce qui me presse tant ? C’est que je sais comme tout le monde que la vie peut s’arrêter demain. Simplement, moi, j’y pense peut-être plus souvent que d’autres… »
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