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Les doctorants n’ont pas la cote dans les grandes entreprises

Seul un quart des groupes du CAC 40 interrogés par « Le Monde » croient en les titulaires d’un doctorat.

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Publié le 12 octobre 2015 à 18h57, modifié le 15 octobre 2015 à 12h44

Temps de Lecture 4 min.

Une étudiante de l'université Paris-VI Pierre-et-Marie-Curie (UPMC) porte le chapeau lors de la remise des diplôme de doctorat, le 13 juin 2009 à Paris. L'UPMC organisait pour la 1re fois de son histoire une cérémonie de remise des diplômes de doctorat au cours de laquelle les 700 lauréats étaient tous en toges.
AFP PHOTO MIGUEL MEDINA

Il y a celles qui ne répondent pas, celles qui ne savent pas et celles qui y croient. Le Monde a demandé aux entreprises du CAC 40 si elles employaient des docteurs. Onze d’entre elles n’ont pas répondu ; quatorze ont dit ignorer combien elles en salarient ; six indiquent qu’elles en ont très peu. Enfin, neuf en comptent un nombre significatif et affirment croire en ces diplômés. Ils sont par exemple 600 chez EDF, 150 chez Orange, 1 136 chez Saint-Gobain ou encore 530 chez Renault. Un paysage extrêmement contrasté où les entreprises les plus enthousiastes envers les titulaires d’un doctorat (bac + 8) demeurent minoritaires.

Certains groupes le disent franchement : ils n’ont pas besoin de ces profils. « LVMH n’est pas le meilleur terreau pour faire pousser les docteurs, admet Hugues Schmitt, chargé de la communication du groupe de luxe. Aucune de nos soixante-dix maisons n’a d’équipe de recherche structurée, les parfums Christian Dior mis à part. » Chez Unibail, on explique  : « La nature des activités est telle que nous recherchons avant tout des profils opérationnels, aux compétences multidisciplinaires, et donc moins de ceux tournés vers la recherche dans un domaine spécialisé. »

Au-delà de ces cas, le sort réservé par le CAC 40 aux docteurs en dit long sur la manière dont la France reconnaît ses élites. Partout dans le monde, le doctorat est la référence la plus prestigieuse de l’enseignement supérieur. La France, elle, privilégie les grandes écoles. Certains recruteurs considèrent que les docteurs « ne pourront pas s’adapter à l’entreprise », s’insurge Emeline Assémat, vice-présidente de l’Association nationale des docteurs (ANDès). « Les entreprises connaissent mal le doctorat, regrette Sandrine Javelaud, directrice de la mission « formation initiale » au Medef. Et les stéréotypes ont la vie dure : les docteurs sont parfois perçus comme des “rats de laboratoire” ou des chercheurs trop spécialisés. Quand elles veulent recruter des collaborateurs opérationnels, les entreprises ont tendance à se tourner vers les écoles d’ingénieurs, qu’elles connaissent déjà. »

Méconnaissance « mutuelle »

Mais la méconnaissance est « mutuelle », reconnaît Juliette Guérin, porte-parole de la Confédération des jeunes chercheurs. Les docteurs, dont les deux tiers souhaitent travailler dans la recherche publique, selon une étude ANDès-Association pour l’emploi des cadres (APEC), n’ont pas toujours une image positive de l’entreprise. Ils appréhendent souvent un manque de liberté de recherche ou la pression subie de la part de la hiérarchie, par exemple.

Au demeurant, souligne Juliette Guérin, ils ne savent pas toujours s’y prendre pour chercher du travail dans le privé. Un sur dix arrive sur le marché du travail sans avoir réalisé de stage dans le privé. « Ils n’ont pas les codes, les repères pour s’insérer rapidement », note Pierre Lamblin de l’APEC.

Les écoles doctorales essaient de mieux les préparer. C’est aussi le cas de l’Association Bernard Gregory (ABG), qui œuvre au rapprochement des docteurs et des entreprises depuis trente-cinq ans. « Nous les aidons à comprendre le recrutement dans le privé, explique Vincent Mignotte, président de l’ABG. Le discours, le vocabulaire, la présentation sont différents. Dans l’univers académique, le CV donne une longue liste de publications. Dans le privé, il est resserré et centré sur les résultats. »

Rien d’étonnant, donc, dans un contexte d’emploi public morose, que 14 % des docteurs soient encore sans emploi quatre à six ans après la soutenance de leur thèse. C’est ce qu’indique l’étude ANDès-APEC, réalisée à partir de 892 réponses à un questionnaire mis en ligne. « Le marché de l’emploi n’est pas reparti, constate M. Lamblin. Il manque 12 000 à 15 000 recrutements de jeunes diplômés sur des postes de cadre. Nous sommes loin des 50 000 de 2000. Depuis la crise, les entreprises privilégient les cadres expérimentés et immédiatement opérationnels. Cela se fait au détriment des jeunes diplômés. »

Le tableau est sombre. Mais « la situation a beaucoup évolué depuis quelques années, se réjouit M. Mignotte. Les grands groupes manifestent de plus en plus d’appétence pour les docteurs. Dans leurs annonces, certains disent aujourd’hui clairement qu’ils veulent des docteurs et rien d’autre. Et les PME s’y mettent. »

Un cercle vertueux s’enclenche, pensent certains. La mutation de l’université n’y est pas étrangère. Surtout, la pression économique d’une société de la connaissance mondialisée pousse les entreprises à miser fortement sur l’innovation. « Les docteurs savent résoudre des problèmes complexes et mal posés, notamment quand la solution n’est pas connue », souligne Juliette Guérin. Une thèse, cela consiste à construire des connaissances, abonde M. Mignotte : « Contrairement à l’ingénieur, il sait donc repousser les frontières. »

Des profils complémentaires

Fabien Imbault, ingénieur et directeur général de la start-up Evolution Energie, recrute des docteurs. « Ils savent élaborer un protocole scientifique pour aborder des problèmes complexes et trouver des solutions innovantes, ce que les ingénieurs ne savent pas faire, justifie le chef d’entreprise. Ce sont deux profils complémentaires. » Dans un grand groupe comme Safran, on assure également avoir accru le recrutement de docteurs depuis deux ans. « Nous développons une politique très active de recherche en développement et en technologie, indique Catherine Buche-Andrieux, responsable de la politique de recrutement. Nous avons besoin de leurs compétences. »

Spécialisé dans l’insertion des docteurs, le cabinet Adoc tourne à plein régime. « Notre activité ne s’est jamais aussi bien portée, reconnaît Marc Joos, chargé d’études dans ce cabinet. Les compétences des docteurs intéressent de plus en plus les entreprises. » Le chemin sera peut-être long, cependant. Le Medef, qui incite les recruteurs à choisir des docteurs, est dubitatif. Y en a-t-il davantage dans les entreprises ? « Je ne sais pas, répond Sandrine Javelaud. La France est encore à la ramasse par rapport aux autres pays de l’OCDE. »

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