Un poumon caché dans son organe de flottabilité. Voilà donc la dernière surprise que le cœlacanthe a réservé aux scientifiques. Une équipe franco-brésilienne a publié dans Nature Communications, mardi 15 septembre, une vaste étude qui conclut que l’impressionnant animal des grands fonds conserve un vestige de cet organe respiratoire, habituellement absent chez les poissons. Mieux : par l’étude de spécimens à différents stades du développement embryonnaire et la comparaison avec de très anciens fossiles, elle est parvenue à reconstruire l’évolution de cet incroyable animal.
Le cœlacanthe n’en est pas à son premier canular. Tout au long du XIXe siècle, l’immense poisson (jusqu’à 2 mètres et 100 kilos) a ainsi été classé dans la catégorie des espèces disparues. Ses fossiles impressionnants peuplaient les musées, au côté de ses cousins dinosaures. Mais en 1938, un animal fraîchement mort a été ramené dans les filets d’un pêcheur sud-africain. Un spécimen pratiquement identique à ceux, vieux de 70 à 400 millions d’années, rassemblés dans les collections. Depuis, d’autres individus ont été retrouvés dans le détroit du Mozambique et au large de l’Indonésie, avec toujours ce même aspect préhistorique. La bestiole en a gagné le surnom de « poisson-fossile », et pris une place particulière dans la chaîne phylogénétique, quelque part entre les poissons et les vertébrés à pattes.
Nouvelles techniques d’imagerie
La découverte récente va sans nul doute renforcer ce statut. L’équipe du Muséum national d’histoire naturelle et de l’université d’Etat de Rio de Janeiro a rassemblé de nombreux spécimens, dont un grand nombre puisés dans la collection de l’institution parisienne. Et ils ont disséqué les animaux. Pas avec pinces et scalpels, pour la plupart – on ne saccage pas un cœlacanthe –, mais grâce aux nouvelles techniques d’imagerie. Ainsi certains échantillons ont été analysés au synchrotron ESRF de Grenoble, qui permet, grâce à un accélérateur de particules, de pénétrer, sans les altérer, les couches profondes de la matière pour en faire apparaître les détails.
Chez les animaux adultes, ils ont mis en évidence un poumon régressé, non fonctionnel, inclus dans l’organe graisseux. Cette poche remplie, comme son nom l’indique, de graisse permet au cœlacanthe d’adapter sa flottabilité. Une fonction essentielle que d’autres remplissent grâce à la vessie natatoire (espadon, truite), un foie graisseux (requin) ou encore une substance cireuse dans la tête (cachalot). Chez le cœlacanthe, ce rôle de ballast est donc joué par l’organe graisseux. Avec un grands succès : l’animal évolue au milieu des rochers dans une très large gamme de profondeur, de 120 à 800 mètres sous la surface.
L’examen des animaux au stade embryonnaire a offert aux scientifiques une information plus étonnante encore. Sur les plus petits embryons (4 cm), ils ont découvert qu’au départ de sa vie, le poisson développe un poumon à un stade accéléré, comme nombre de mammifères marins. Puis la croissance s’interrompt, et l’organe graisseux prend le relais.
Organe osseux de type inconnu
Cette observation du développement embryonnaire se retrouve dans l’histoire même de l’espèce. En effet, les fossiles de cœlacanthes, du Dévonien jusqu’au Crétacé (- 410 à - 66 millions d’années), présentaient dans leur cavité abdominale un organe allongé recouvert de plaques ossifiées se chevauchant les unes les autres. Or des ébauches de telles plaques viennent justement d’être mises en évidence chez les animaux contemporains. Là où les premiers naturalistes voyaient un appendice osseux de type inconnu, vessie pour les uns, vessie natatoire pour les autres, les scientifiques contemporains ont opté pour un troisième. « Cet organe était très certainement un poumon fonctionnel, ce qui concorderait avec leurs environnements de vie », affirme Marc Herbin, maître de conférences au Muséum, un des signataires de l’étude. En effet, les cœlacanthes ne vivaient pas, à l’époque, dans les grands fonds, mais en surface, tant dans les eaux marines que douces.
C’est très vraisemblablement pour s’adapter à ce changement que ces étonnants poissons ont abandonné leur poumon. « Cela peut expliquer comment les cœlacanthes ont survécu aux crises environnementales du Crétacé [- 145 à - 66 millions d’années] et du Paléogène [- 65 à - 23 millions d’année] », indique l’article. D’autres, comme les dinosaures, n’ont pas eu cette chance. Ou plutôt pas trouvé cette ressource.
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