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Pourquoi le droit international humanitaire est (toujours) mal appliqué

Créé il y a 150 ans, reconnu par la quasi totalité des Etats, le droit humanitaire reste une notion malmenée par la difficulté de son application.

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Publié le 22 août 2014 à 11h39, modifié le 25 septembre 2014 à 09h58

Temps de Lecture 6 min.

Employés de la Croix rouge ukrainienne sur le point de vérifier un convoi humanitaire, vendredi 15 août.

De l'Ukraine à la Syrie, en passant par l'Irak et la République centrafricaine, les conflits qui secouent la planète ont un point commun. Hormis leur nature destructrice, ils sont tous régis par le droit international humanitaire (également appelé droit humanitaire ou DIH), dont l'objectif est la protection de toutes les victimes de guerres.

Ratifié par la quasi totalité des nations, le DIH fête vendredi 22 août les 150 ans de sa création. Un triste anniversaire pour ce principe universel, tant les atrocités liées aux combats ont gagné en intensité, autant que les violations de ce droit, régulièrement dénoncées. En 2013, 155 travailleurs humanitaires, que le droit international protège, ont été tués sur le terrain, ce qui représente une hausse de 66 % par rapport à l'année précédente, selon les données du centre de recherche Humanitarian Outcomes publiées le 19 août. La tendance reste la même en 2014, avec 79 tués de janvier à août 2014.

Décryptage du rôle du DIH, une notion simple dont la principale faiblesse réside dans la difficulté de son application.

Le DIH, qu'est-ce que c'est ?

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Egalement appelé « droit de la guerre », le droit international humanitaire est un ensemble de règles qui encadrent les conflits armés. Il comprend deux volets : le premier, relatif au secours des personnes ne prenant pas – ou plus – part aux hostilités (blessés, civils, prisonniers), le second, traitant des méthodes de guerre.

Il est né le 22 août 1864, avec la ratification de la première convention de Genève, dont la préoccupation, à l'époque des champs de bataille et des affrontements entre armées impériales, était la seule protection des soldats blessés. Au même rythme que la guerre, le droit humanitaire s'est étoffé et complexifié, mais ses principes fondamentaux restent très simples :

– l'interdiction de tuer ou de blesser un soldat qui a déposé les armes ;

– la protection et l'accès aux malades et aux blessés par les services médicaux ;

– l'obligation de permettre les secours essentiels à la survie de la population si le caractère humanitaire et impartial est garanti ;

– la protection des combattants capturés contre des traitements inhumains ou dégradants ;

– l'interdiction de prendre pour cible des civils. De plus, les attaques qui risquent de causer des victimes civiles doivent être évitées. Les civils ne peuvent pas être déplacés par la force ;

– l'interdiction de détruire les moyens de survie des civils en s'attaquant aux cultures, aux réserves d'eau potable, aux installations médicales, aux habitations ou aux moyens de transport non militaires.

Comment est-il appliqué ?

Le droit humanitaire a été rédigé par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), organisation humanitaire suisse créée en 1863. Le CICR est le garant du droit international humanitaire ; c'est lui qui l'a soumis aux Etats pour ratification et son rôle est de rappeler les textes à ceux qui se sont engagés à les respecter et les faire respecter. Il n'agit en revanche pas en qualité de juge et s'appuie sur trois principes afin de protéger les victimes de conflits armés : l'indépendance, la neutralité et l'impartialité.

Un autre pilier important du CICR est la confidentialité, une caractéristique qui lui vaut parfois d'être critiqué, notamment lorsqu'il est le témoin de violations du droit humanitaire. En effet, avant de rendre ces violations publiques, l'organisation va s'adresser, en toute confidentialité, à la partie concernée pour tenter de lui faire respecter le droit. C'est grâce à cette notion que le CICR estime qu'il peut obtenir la confiance de toutes les parties prenantes d'un conflit armé et donc venir en aide à toutes les victimes des guerres, sans distinction.

L'armée vénézuélienne charge de l'aide humanitaire à destination de Gaza, mardi 12 août.

Comment a-t-il évolué en un siècle et demi ?

On compte trois évolutions majeures du DIH. Tout d'abord, les conventions de Genève de 1949, qui reprennent le texte rédigé en 1864 et l'enrichissent, en s'appuyant notamment sur la convention de La Haye de 1907 concernant les lois de la guerre. Après la seconde guerre mondiale, il n'est donc plus seulement question des blessés sur le champ de bataille et des prisonniers de guerre : le DIH englobe également les méthodes de guerre, ainsi que la notion de protection des civils.

Viennent ensuite deux protocoles additionnels de 1977, qui renforcent la protection des victimes dans les conflits armés internationaux, mais aussi pour la première fois dans les conflits armés internes, ou guerres civiles.

Enfin, en 2005, une vaste étude menée sur la pratique de chaque Etat en matière de DIH est publiée par le CICR, et donne naissance à une base de données du droit humanitaire. Cet énorme travail a mis en évidence l'existence de 161 règles de droit international humanitaire coutumier qui permettent de contourner une faiblesse majeure du droit humanitaire : sa non-ratification par certains pays.

Ainsi, après ses 150 années d'existence, le droit humanitaire est considéré comme étant « complet ». Pour Françoise Bouchet-Saulnier, directrice juridique de Médecins sans frontières et auteure du Dictionnaire pratique du droit humanitaire, pas question de parler d'obsolescence : « Le droit humanitaire fournit un cadre suffisant, à condition de l'interpréter et l'appliquer de bonne foi. »

Quelles sont les faiblesses du DIH ?

Une des principales limites du DIH, si ce n'est la plus importante, est sa mauvaise application : « Le problème de ce droit, ce n'est pas qu'il a vieilli, c'est qu'il est mal appliqué. Signé par 195 Etats, on peut le considérer comme étant quasi universel, pourtant, paradoxalement, il fait l'objet de violations répétées », explique Frédéric Joli, porte parole du CICR en France.

Dans la pratique, le droit humanitaire est un socle, sur lequel s'appuient les belligérants et les organisations humanitaires lors d'un conflit armé. Chaque conflit armé fait l'objet d'un nouveau scénario, de nouvelles négociations pour le faire appliquer, et il est invoqué par les belligérants en fonction de leurs intérêts propres. C'est une des grandes difficultés du DIH : « Chaque partie interprète le droit à son avantage, il faut donc impérativement résister à l'interprétation de mauvaise foi des parties au conflit. Si on ne négocie pas les secours, on n'obtient rien. Le droit, ça se réclame », précise Françoise Bouchet-Saulnier.

Afin de tenter remédier à cette faille, le CICR et la Suisse mènent depuis 2012 des consultations avec les Etats et des représentants de services de santé dans l'optique de trouver des moyens de mieux faire respecter le droit humanitaire.

Seconde faiblesse majeure du DIH, l'absence, jusqu'en 2002, avec le lancement de la Cour pénale internationale, d'instruments permettant de sanctionner les violations du droit humanitaire lors de conflits internes. Pour autant, maintenant qu'un tel outil existe, son aspect à la fois coercitif et dissuasif rigidifie le DIH : « Le droit humanitaire s'est complexifié avec les tribunaux. Il est nécessaire de revenir à une application qui soit destinée à l'action et pas uniquement orientée vers la sanction », explique Françoise Bouchet-Saulnier. Par ailleurs, les premières années d'existence de la CPI n'ont pas montré beaucoup de résultats.

Lire l'éclairage (en édition abonnés) : Article réservé à nos abonnés La CPI, une juridiction qui ne fonctionne pas
Un convoi humanitaire stationné en Russie, vendredi 15 août.

A quels défis est-il confronté ?

Si le droit humanitaire est aujourd'hui « à jour », il est systématiquement revu à la suite d'un conflit. Selon le médecin général Eric Darré, auteur du blog Lex-dih, qui définit les termes du DIH, ce dernier bénéficierait d'une capacité d'anticipation : « Les 150 ans sont l'occasion de se poser la question des défis du droit humanitaire, mais en réalité chaque année et à chaque fois qu'il y a un conflit, on le remet en question. Peut-être pourrait-il être plus proactif que réactif », estime-t-il.

L'actualité montre qu'il existe un gouffre entre la pratique du droit international humanitaire et les textes qui l'encadrent. Pour autant, en s'appuyant sur ces textes et en négociant au cas par cas, les organisations humanitaires parviennent à arracher des compromis pour l'appliquer.

Pour David Forsythe, professeur à l'université du Nebraska-Lincoln (Etats-Unis) et spécialiste du CICR, le travail accompli par les organisations humanitaires est à la fois insuffisant et déterminant : « Le monde est en si piteux état. Parfois, je me dis qu'il est remarquable que nous puissions mener la moindre opération humanitaire. Les organisations font un travail exceptionnel, même si elles n'arrivent pas à des résultats exceptionnels. »

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