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L’accident de Fukushima a dispersé des « billes » de césium radioactif jusqu’à Tokyo

Des travaux scientifiques montrent que 89 % du césium relâché dans l’environnement par la catastrophe de mars 2011 l’ont été sous forme de microparticules de verre.

Par  et  (Tokyo, correspondance)

Publié le 05 juillet 2016 à 13h14, modifié le 06 juillet 2016 à 09h36

Temps de Lecture 3 min.

Des salariés de Tepco dans le réacteur 4 de Fukushima, en novembre 2013.

C’est une découverte qui renforce la spécificité de la catastrophe nucléaire de Fukushima et modifie l’étude de son impact environnemental et sanitaire. Lors de la conférence de géochimie Goldschmidt organisée du 26 juin au 1er juillet à Yokohama, au sud de Tokyo, une équipe réunissant des chercheurs de différentes universités, notamment de Kyushu (sud-ouest du Japon) et de Nantes (Loire-Atlantique), a révélé que 89 % des émissions de césium radioactif des trois réacteurs, dont le cœur a fondu en mars 2011, l’ont été sous la forme de microparticules de verre.

Celles-ci ont été décelées dans les poussières recueillies, le 15 mars 2011, par un filtre à air installé sur un bâtiment de Suginami, un arrondissement de l’ouest de Tokyo, à 230 km de la centrale endommagée. De telles particules ont aussi été trouvées dans des échantillons de sols de rizières prélevés un an après la catastrophe à Okuma, une ville où se situe la centrale nucléaire et où, d’après le professeur Satoshi Utsunomiya, « le sol est fortement contaminé ».

L’existence de ce type de microparticules était connue depuis 2013 et avait déjà donné lieu à plusieurs publications. Mais on ignorait que la quasi-totalité du césium relâché dans l’environnement par les explosions survenues dans les réacteurs de Fukushima ne se présentait pas sous forme d’aérosols classiques, mais de ces minuscules billes de verre.

D’une taille comprise entre 0,58 et 5,3 micromètres (millionièmes de mètres), elles sont composées principalement de silice et contiennent également du fer, du zinc, du plomb et du chlore. Elles concentrent une forte quantité de césium 134 et de césium 137, deux isotopes radioactifs qui constituent des produits de fission de la réaction nucléaire.

« Leur formation pourrait être le résultat d’une interaction entre les cœurs fondus et le béton des réacteurs », avance Satoshi Utsunomiya, professeur du département de chimie de l’université de Kyushu, et l’un des auteurs de la présentation. Cela, sous l’effet de la température extrême, de l’ordre de 2 000 °C, qui a été atteinte lors de la catastrophe dans les bâtiments nucléaires. Un tel phénomène n’avait pas été observé lors de l’accident de Tchernobyl de 1986 – même si on a trouvé du césium piégé dans des particules de combustible irradié dans le voisinage de la centrale ukrainienne –, ni lors des analyses réalisées après des essais nucléaires.

Plus irradiantes et persistantes

Un employé de Tepco marche devant le réacteur 1 de la centrale nucléaire de Fukushima, au Japon, en février 2016.

La particularité de ces microbilles de verre est d’être, à masse équivalente, « beaucoup plus irradiantes » que les autres aérosols, parce que le césium y est très concentré, explique Bernd Grambow, le directeur de l’unité de recherche Subatech (Ecole des mines de Nantes, CNRS, université de Nantes), qui a participé à ces travaux. Mais aussi d’être plus persistantes, car elles sont, sinon insolubles, beaucoup plus difficilement dissoutes.

Ces caractéristiques posent la question de leur impact sanitaire potentiel. D’autant que, si la radioactivité du césium 134 diminue de moitié tous les deux ans, celle du césium 137 n’est divisée par deux qu’au bout de trente ans. Ces radionucléides, s’ils sont ingérés ou inhalés, se fixent sur les muscles. « Comme tous les radionucléides incorporés, le césium est susceptible, en fonction de la durée et de la dose d’exposition, d’augmenter la probabilité d’apparition de cancers radio-induits, sur le long terme », expose Jean-René Jourdain, directeur adjoint de la protection de l’homme à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) français.

Dans le cas présent, à supposer que des riverains de Fukushima – ou des habitants de Tokyo – aient inhalé des microbilles au césium et que celles-ci soient demeurées longtemps dans leurs poumons, des atteintes locales, fibroses ou même nécroses, sont théoriquement possibles.

Aux yeux des experts, il n’existe pourtant pas de risque sanitaire significatif et « il n’y a pas lieu de reconsidérer le bilan de Fukushima ». En effet, « l’organisme met en œuvre des mécanismes d’épuration et d’élimination », explique Olivier Masson, spécialiste des aérosols à l’IRSN. « Nous ne sommes pas du tout dans le cas de figure de l’iode radioactif qui se fixe sur la glande thyroïde et qui constitue, lors d’un accident relâchant des radioéléments, le principal danger », ajoute-t-il.

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Pour autant, il estime que, « d’un point de vue scientifique, les conséquences radiologiques de l’inhalation de césium vont devoir être réévaluées, à la lumière de la découverte de ces particules dont la solubilité est très faible ».

Cette découverte pourrait aussi modifier les modélisations des retombées en cas de catastrophe nucléaire, et la manière de conduire les opérations de décontamination du césium. Sur ce point, le gouvernement japonais est engagé dans une vaste opération couvrant près de 2 400 km², pour un coût estimé à 2 480 milliards de yens (22 milliards d’euros). Son efficacité n’est pas toujours avérée. Nombre de maisons doivent être décontaminées à plusieurs reprises, la pluie et le vent déplaçant les substances radioactives.

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