Elle ne se souvient pas s’être « posé la question ». A bien y réfléchir, c’était peut-être « de la naïveté ». Mais surtout, « une confiance spontanée envers [s]on employeur », explique Amy (le prénom a été changé à sa demande), 30 ans, responsable au service clients chez Ikea, dans la banlieue de Reykjavik. Entrée voilà six ans chez le géant de l’ameublement suédois, elle se disait « fière d’être en bleu et jaune, avant cela ».
« Cela », c’est une banale soirée de l’hiver 2015, dans le centre-ville rarement inanimé de la capitale islandaise. Après une semaine de travail éprouvante, Amy se détend autour d’une bière avec trois de ses collègues. Trois hommes aux postes similaires au sien. Au détour d’une conversation, le petit groupe « commence à parler salaires », se souvient Amy, qui avait à l’époque d’importants travaux à financer chez elle.
La jeune femme tombe de haut : « Ils gagnaient tous au moins plus de 40 000 couronnes (323 euros) de plus que moi, l’un 70 000 (566 euros) ». « Un choc. J’ai presque eu honte de dire combien je gagnais, parce que c’était reconnaître que je me faisais avoir », se souvient cette petite blonde aux yeux verts. Et de se justifier aussitôt : « Je n’ai jamais dit qu’ils faisaient mal leur travail et qu’ils ne méritaient pas ce salaire, mais ils ne le faisaient pas mieux que moi non plus », résume celle qui se dit « dégoûtée qu’on puisse encore au XXIe siècle établir des différences pareilles, le plus naturellement du monde ».
Salaires inférieurs de 16,1 %
L’Islande a beau caracoler en tête des classements des nations les plus respectueuses des droits des femmes, l’île n’est pas épargnée par cette inextinguible différence entre les salaires des hommes et des femmes : l’écart était de 16,1 % en 2017, selon l’institut national des statistiques. Une femme sur cinq gagne moins de 400 000 couronnes (3 200 euros), contre un homme sur quatorze seulement.
Ce différentiel a poussé, le 24 octobre 2016, près de 25 000 Islandaises sur la place centrale de Reykjavik, et dans dix-neuf autre villes. Une mobilisation d’une rare ampleur, dans ce pays de 335 000 habitants d’ordinaire placide.
« Si nous voulons le progrès, il faut l’imposer »
Depuis, le gouvernement s’est emparé de la question. Au printemps, l’Islande est devenue le premier pays au monde à voter une loi pour contraindre les entreprises de plus de 25 salariés à appliquer, d’ici à 2022, une parité salariale. Elle est officiellement entrée en application au 1er janvier 2017. « L’histoire a montré que si nous voulons le progrès, il faut l’imposer », a justifié le ministre des affaires sociales, Thorsteinn Viglundsson.
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