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Avec l’embellie économique, l’industrie française donne des signes de surchauffe

Après des années de sous-investissement, 30 % des industriels butent sur leurs capacités de production.

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Publié le 23 novembre 2017 à 10h51, modifié le 24 novembre 2017 à 10h36

Temps de Lecture 3 min.

« Il y a ceux qui ont investi il y a quatre ou cinq ans, et puis il y a les autres, pour qui c’est dramatique. » Florent Monier s’en félicite : Thermi-Lyon, l’entreprise fondée par son grand-père, appartient à la première catégorie. Spécialiste du traitement des matériaux métalliques, elle approvisionne tous les métiers de l’industrie. Automobile, aéronautique, machines agricoles… « Les pièces qu’on usine vont de la vis dentaire à la pièce de machine pour Michelin », assure le PDG. Un poste de vigie idéal pour apprécier la solidité du secteur. Ses fragilités aussi.

Car malgré l’embellie économique, ou plutôt à cause d’elle, l’appareil productif français donne des signes de surchauffe. Pour la première fois depuis 2008, les entreprises se disant confrontées à des difficultés d’offre, autrement dit aux limites de leur capacité de production, sont bien plus nombreuses que celles estimant faire face à des problèmes de demande, selon l’Insee. Un tiers des industriels sont concernés. Un niveau en hausse de 5 points depuis le début de l’année et inédit depuis la crise.

Portées par la reprise, « les contraintes d’offre sont apparues particulièrement soudainement dans l’automobile, l’agroalimentaire, les matériels de transport », note Emmanuel Jessua, du groupe de réflexion proche du patronat Coe-Rexecode. Ces tensions sont d’autant plus inquiétantes que le tissu industriel s’érode depuis une quinzaine d’années en France. L’industrie manufacturière ne représente plus que 10 % du produit intérieur brut (PIB), contre 20,3 % en Allemagne. La crise a durablement affecté les réseaux de sous-traitance, entraîné des pertes en capital humain, en compétences. « On ne peut pas exclure que la base soit si atrophiée qu’il ne soit plus possible d’inverser la tendance », s’alarme l’économiste.

Un climat des affaires au beau fixe

Affaiblie par cet héritage, l’industrie française a-t-elle les reins assez solides pour tenir le rythme de la reprise ? « Il est encore trop tôt pour dire qu’on bute sur nos capacités de production. Si c’était le cas, les salaires et les prix seraient tirés à la hausse, il devrait y avoir des tensions inflationnistes », estime Mathieu Plane, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Les taux d’utilisation des machines et équipements sont, certes, au-dessus de leur moyenne historique, à 84,9 %, mais le climat des affaires est au beau fixe. L’indicateur qui le mesure atteint, selon l’étude de l’Insee parue jeudi 23 novembre, son plus haut niveau depuis dix ans (111 points).

Sur le terrain, Florent Monier confirme : « La demande européenne et mondiale tire les commandes. Près de 70 % des pièces sur lesquelles nous travaillons pour nos clients sont ensuite dédiées à l’exportation ». Sur dix mois, le chiffre d’affaires de l’entreprise a progressé de 8 % comparé à la même période l’an passé. « Le souci, ce sont les délais de livraisons, qui ont été multipliés par deux, et les difficultés pour trouver du personnel. »

Des problèmes de recrutement

Selon Coe-Rexecode, 42,1 % des industriels disent faire face à des problèmes de recrutement, un chiffre en hausse de 8,2 points sur un an. « Pendant les quatre années qui ont suivi la crise, on a investi dans notre appareil productif mais peu formé de jeunes, reconnaît le dirigeant de Thermi-Lyon. Dans la vallée de l’Arve, où se trouvent de nombreux sous-traitants de l’automobile, le taux de chômage est extrêmement faible. On a vraiment du mal à trouver des gens expérimentés. »

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Pour Daniel-Lilian Matthey, PDG du fabricant d’outils coupants de précision Magafor, les tensions portent essentiellement sur les postes de la maintenance. L’industriel a su anticiper la reprise mais doit faire avec un parc de machines vieillissant. « Je suis bougrement embêté pour embaucher des ouvriers, regrette-t-il. Le métier a été cannibalisé par les ascensoristes. C’est plus simple aujourd’hui d’acheter des machines neuves ».

« Tout peut changer soudainement »

Le chef d’entreprise dénonce aussi la « spéculation » à laquelle se livrent, dit-il, ses donneurs d’ordre. « Pour reconstituer leurs stocks, ils commandent plus que ce dont ils ont besoin ». Résultat : « On a des carnets remplis comme on n’en a pas vu depuis 2008 », abonde Bruno Grandjean, président de la Fédération des industries mécaniques et patron de Redex. Mais « tout le monde appuie sur le frein et l’accélérateur en même temps. Tout peut changer soudainement, comme en 2008, lorsqu’on était passé de l’euphorie au marasme total ».

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Une prudence qui expliquerait, selon Patrick Artus (Natixis), que les prévisions d’investissements marquent le pas en 2018 après une hausse de 4 % en 2017. Or, seule leur progression pourrait contenir les contraintes d’offre qui s’exercent déjà. « Il faut s’attendre à ce que notre balance commerciale continue de se dégrader », estime l’économiste. Les importations de biens d’équipement et de matériels de transports ont bondi ces derniers mois pour compenser les manques du marché français. La « reconquête industrielle » prônée par l’exécutif s’annonce longue.

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