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Est-ce bien lui ? Marcel Proust découvert dans un film de mariage de 1904

Un chercheur québecois a réuni de nombreux arguments pouvant démontrer la présence de l’écrivain sur un film d’archive.

Publié le 15 février 2017 à 18h39, modifié le 21 février 2017 à 09h51 Temps de Lecture 3 min.

Il s’agit d’un film de mariage, où un invité, inconnu à l’époque, descend précipitamment l’escalier de l’église de la Madeleine, à Paris, à la 37e seconde sur la vidéo. Selon Jean-Pierre Sirois-Trahan, professeur à l’université de Laval, à Québec, cet homme serait Marcel Proust, l’auteur d’ A la recherche du temps perdu.

Tournées neuf ans après l’invention du cinématographe, les images du mariage d’Armand de Guiche et d’Elaine Greffulhe montrent l’aristocratie du faubourg Saint-Germain. Le film, sauvegardé par le Centre national du cinéma, est un don de la famille Greffulhe (celle de la mariée). « Jusqu’à maintenant, on ne connaissait aucun film avec Marcel Proust, seulement des photographies », rappelle M. Sirois-Trahan dans la Revue d’études proustiennes. D’autres films ont peut-être existé mais ont été perdus. On évalue d’ailleurs à 80 % les films muets perdus à jamais, rappelle-t-il. Mais comment être sûr qu’il s’agit bien de Proust ?

Un homme seul, vêtu différemment, se faufile dans la foule

Selon Jean-Pierre Sirois-Trahan, plusieurs éléments convergent : outre la ressemblance physique entre l’homme de l’image et les photographies que l’on connaît de l’écrivain, sa présence à ce mariage est attestée. On sait aussi qu’il s’y est rendu seul, comme l’homme qui descend les marches. Ses vêtements seraient également caractéristiques de « la façon singulière qu’avait Proust de se vêtir à cette époque ». A la différence des autres hommes, coiffés pour l’occasion d’un haut-de-forme et habillés d’une jaquette, l’homme porte un chapeau melon et un pardessus gris perle. Ces deux « fautes » mondaines correspondent à la tenue habituelle de l’écrivain, telle qu’elle est évoquée dans des archives écrites de la même période.

Marcel Proust se faufile également à l’avant du cortège, alors qu’il aurait dû défiler bien après la fin de ce film de quelques secondes, puisque le cortège nuptial a duré près d’une heure, selon le compte rendu qui en sera donné dans la presse. « Une chance », selon le chercheur, que Proust ait décidé de sortir « sans attendre son tour ». Il note néanmoins qu’il ne marche pas sur le tapis rouge mais sur la pierre des marches, « conscient des convenances ». « Est-on sûr, à la vue de cet homme seul, qu’il s’agit de l’auteur alors méconnu du recueil Les Plaisirs et les jours (1896) ? A chacun, ô lecteurs, de se faire son propre roman… ».

Le grand spécialiste de Marcel Proust, Jean-Yves Tadié, qui a dirigé l’édition en Pléiade de La Recherche, est enthousiaste. « Ces images correspondent aux portraits que l’on connaît de lui, y compris dans sa manière de mal s’habiller », s’amuse-t-il. « J’ai été très ému de découvrir cette archive, car c’est la première fois que l’on voit Proust en mouvement », confie le spécialiste, qui s’étonne par ailleurs que l’on n’ait jamais découvert Proust dans des images d’actualités. « La dernière chose qui nous manque, maintenant, c’est sa voix, ajoute-t-il. Mais cela prouve en tout cas qu’il y a toujours des choses à découvrir, et peut-être que d’autres trésors dorment dans des films de famille. »

Marcel Proust, né le 10 juillet 1871 à Paris et mort le 18 novembre 1922.

Une fenêtre ouverte sur le monde qui a inspiré « La Recherche »

Même s’il est impossible d’être absolument certain qu’il s’agisse de Marcel Proust, cette archive est intéressante pour qui veut comprendre le monde dont s’inspire l’auteur : l’aristocratie du faubourg Saint-Germain y est réunie, et l’on y voit quelques personnalités de l’époque, dont on pense qu’elles ont pu inspirer les personnages des romans. La comtesse Greffulhe, mère de la mariée, aurait été le « modèle d’Oriane de Guermantes, pour ce qui est de l’élégance », précise Jean-Pierre Sirois-Trahan, même si Jean-Yves Tadié ajoute qu’« au moins trois dames » ont inspiré ce personnage.

Selon M. Sirois-Trahan, le récit de ce mariage dans Le Figaro aurait également pu inspirer, sur plusieurs points, la scène de l’apparition d’Oriane de Guermantes dans l’église de Combray, dans le premier volume de La Recherche, Du côté de chez Swann.

Un film scruté depuis plusieurs années par les spécialistes

Le « film de famille » des Greffulhe, conservé aux Archives françaises du film de Bois-d’Arcy (Yvelines), était consulté depuis de nombreuses années par des chercheurs, selon une enquête publiée par Libération en 2003. Les « proustiens transis » faisaient le trajet « dans l’espoir de reconnaître le romancier sur ces images tremblantes ». Le film du mariage d’Elaine Greffulhe est le « fonds familial le plus consulté de Bois-d’Arcy. Et à vrai dire le seul », précisait Libération à l’époque.

La première personne à avoir formulé l’hypothèse que l’homme au chapeau melon puisse être Marcel Proust fut la journaliste Laure Hillerin, dans son ouvrage La comtesse Greffulhe, l’ombre des Guermantes (Flammarion, 2014). Elle y écrivait : « Peut-être est-ce lui, ce jeune homme en manteau clair, coiffé d’un chapeau melon qui laisse les yeux dans l’ombre, laissant apercevoir la moustache et l’ovale du visage (...) ? On le voit quelques secondes sur un film d’amateur – une pellicule de deux minutes à peine, conservée aux Archives françaises du film à Bois-d’Arcy. »

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