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Bure : les occupants du bois Lejuc évacués par la force

500 gendarmes mobiles restent positionnés sur le site de la Meuse qui a été choisi pour stocker 85 000 mètres cubes de déchets nucléaires à haute activité et à vie longue.

Par  et

Publié le 22 février 2018 à 07h12, modifié le 22 février 2018 à 18h50

Temps de Lecture 6 min.

Avant même la possible évacuation de la ZAD (zone à défendre) de Notre-Dame-des-Landes, le gouvernement a décidé de « rétablir l’ordre » à Bure, un village de la Meuse hautement stratégique qui doit accueillir le centre industriel de stockage géologique (Cigéo) des déchets radioactifs français les plus dangereux. Des opposants occupent, depuis l’été 2016, le bois Lejuc, une forêt située à l’aplomb des futures galeries souterraines.

L’annonce de l’intervention des forces de l’ordre a été faite, jeudi 22 février au petit matin, par un bref communiqué du ministre de l’intérieur, Gérard Collomb :

L’opération musclée, qui a mobilisé cinq escadrons, soit environ 500 gendarmes mobiles, a bien démarré à 6 h 15. Après avoir été positionnés tout autour du site du bois Lejuc, les militaires ont progressé par le sud et par le nord, évacuant les occupants des cabanes – les « hiboux » ainsi que se sont baptisés les opposants arborant des masques d’oiseaux de nuit.

Vers 17 heures, la préfecture a annoncé la fin de l’évacuation du bois Lejuc : « Le bois est libéré, il n’y a plus d’occupants. Les opérations de déblaiement se poursuivent ». Selon Olivier Glady, procureur de la République de Bar-le-Duc, « il y a sept gardes à vue en cours », une à la suite de l’évacuation du bois Lejuc et six pour « outrages et/ou violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique » dans le cadre d’une perquisition menée à la « Maison de résistance » à Bure dans l’après-midi. Des opposants au projet s’y étaient regroupés après le début des opérations, comme le rapporte notre journaliste sur place, Rémi barroux. Les effectifs mobilisés devraient rester plusieurs jours sur le site.

Jeudi matin, les contestataires lançaient un « appel à des convergences devant les préfectures partout en France, à 18 heures, le jour même », et au renforcement de la lutte sur place. « Le gouvernement parle de concertation, mais en réalité il montre ses muscles et expulse, dénonce Jean-Marc Fleury, président de l’Association des élus opposés à l’enfouissement des déchets radioactifs (Eodra). Cela fait plusieurs mois que cette logique est en cours, avec une série de procès contre des opposants. »

A 18 heures, des dizaines de personnes se sont rassemblées devant la préfecture de Bar-le-Duc, selon notre reporter :

Fin 2017, l’association, qui fédère une trentaine d’élus ou anciens élus, a du reste décidé de transférer son siège social dans une cabane du bois Lejuc. « Si les pouvoirs publics tentent d’expulser les résistants installés dans [ce] bois, ils devront désormais également expulser les élus opposés à Cigéo », avait-elle alors prévenu.

« Expulsion sans délai »

L’opération militaire était attendue. Le 26 avril 2017, le tribunal de grande instance de Bar-le-Duc, saisi par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) qui porte le projet de stockage, avait ordonné « l’expulsion sans délai » des occupants. Mais cette ordonnance n’avait pas été appliquée. Le précédent de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) a accéléré le calendrier.

En annonçant, le 17 janvier, l’abandon du projet de nouvel aéroport, le premier ministre, Edouard Philippe, avait prévenu qu’il s’agissait d’« une décision exceptionnelle pour une situation locale exceptionnelle ». Un avertissement à ceux qui seraient tentés d’exporter le modèle de la ZAD du bocage nantais pour contester d’autres grands chantiers. « La décision du gouvernement n’est en aucun cas une licence pour reproduire ce type d’action », avait renchéri, dans les colonnes du Parisien, le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot.

« Rétablir l’ordre », comme le veut le gouvernement, pourrait ne pas être aussi simple

Dans la ligne de mire de l’exécutif se trouvait, au premier plan, le conflit entourant le projet Cigéo. Même s’il n’est pas certain que l’appellation de ZAD convienne à une opposition mouvante et multiforme, dont les effectifs fluctuent de quelques dizaines de militants, présents de façon plus ou moins permanente, à plusieurs centaines, lors des grands rassemblements.

Aux associations environnementales hostiles à une « poubelle nucléaire » se sont joints, ces dernières années, de nouveaux militants, plus jeunes et plus radicaux. Ils se sont installés – en toute légalité – dans un ancien corps de ferme reconverti en « Maison de la résistance », et dans quelques maisons achetées ou louées dans les villages environnants.

Les « hiboux » ont tissé des réseaux

Ces militants ont aussi investi, depuis l’été 2016, une parcelle forestière de 220 hectares – le bois Lejuc – cédée par la commune de Mandres-en-Barrois à l’Andra, au terme d’un vote municipal que les opposants contestent devant la justice. Ils considèrent donc que ce bois n’est pas la propriété de l’Andra, tant que l’appel n’a pas été jugé. Et ils en ont fait un camp retranché, avec barricades, cabanes et vigies dans les arbres.

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En décidant de les expulser, le gouvernement a voulu empêcher que les anti-Cigéo consolident leurs positions. En un an et demi d’occupation, les « hiboux » du bois Lejuc ont en effet tissé des réseaux militants dépassant largement le cadre de la Meuse : une vingtaine de comités de soutien se sont constitués dans toute la France, qui se sont donné rendez-vous à Bure les 3 et 4 mars, pour un « week-end de renforcement de l’occupation ». L’exécutif craint aussi que des « zadistes » nantais ne rejoignent le front meusien.

« Rétablir l’ordre » à Bure, comme veut le faire le gouvernement, pourrait toutefois ne pas être aussi simple. « S’ils nous expulsent, nous reviendrons, plus nombreux. Nous n’avons jamais été aussi forts », avaient annoncé à l’avance les opposants. A l’été 2016, déjà, ils en avaient été délogés de cette même forêt par des gendarmes mobiles, avant de la réinvestir quelques semaines plus tard.

Surtout, l’évacuation d’un bois ne suffira pas à faire retomber la tension. Même s’ils ne participent pas aux actions de « sabotage » revendiquées par certains, les historiques du mouvement ont jusqu’à présent fait preuve d’une solidarité sans faille. Pour avoir imposé à la Meuse et à la Haute-Marne ce projet « mortifère », l’Etat, pensent-ils, est responsable de cette escalade. Fin janvier, l’ancien maire de Verdun Arsène Lux (divers droite) a ainsi lancé une pétition en ligne, qui a déjà recueilli près de 15 000 signatures et qui en appelle au ministre de la transition écologique et solidaire : « Pour nos enfants, de grâce, Nicolas Hulot, pas de poubelle nucléaire ! »

« Un débat serein »

« Alors que les recours juridiques sur la cession du bois Lejuc ne sont pas épuisés, une expulsion violente est irresponsable et ne règle en rien le problème des déchets radioactifs, dont l’enfouissement pose de plus en plus question », dénonce un jeune opposant, joint jeudi matin. La situation pourrait même s’envenimer. « On était dans une stratégie légale, on va maintenant réfléchir à d’autres formes d’action. Les pouvoirs publics vont réussir à transformer notre occupation symbolique en ZAD », prévient le président de l’Eodra.

L’opération d’évacuation intervient alors que Sébastien Lecornu, secrétaire d’Etat auprès de Nicolas Hulot, effectue un nouveau déplacement à Bure, les 22 et 23 février, après avoir visité, le 29 janvier, le laboratoire souterrain de la Meuse. Un déplacement motivé, a-t-il expliqué au Monde, par la volonté de « rétablir la concertation et l’ordre », pour avoir « un débat serein » sur un « projet d’intérêt national ».

Au cours de cette visite, il doit rencontrer des élus et des responsables économiques. Il avait aussi prévu de recevoir des opposants, à l’exclusion des « délinquants présumés ». Mais « les opposants qui avaient accepté de rencontrer Sébastien Lecornu vendredi matin refusent bien sûr tout contact alors que l’expulsion a été mise en œuvre », indiquait jeudi matin Jean-Marc Fleury, de l’Eodra.

En tout état de cause, Cigéo est un projet de très longue haleine : la mise en service du centre de stockage est prévue vers 2026 ou 2027, et sa fermeture au milieu du XXIIe siècle. On voit mal comment ce chantier à haut risque, où seront acheminés et manipulés des fûts radioactifs, pourrait être conduit sous la protection permanente des forces de l’ordre. Comme les déchets radioactifs, le conflit de Bure sera sans doute à vie longue.

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