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La Banque mondiale s’inquiète du sort des déplacés climatiques

Les experts estiment que 143 millions de personnes pourraient être contraintes de quitter leur lieu de vie dans les trois régions vulnérables qu’ils ont étudiées.

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Publié le 19 mars 2018 à 18h42, modifié le 20 mars 2018 à 21h55

Temps de Lecture 4 min.

Des habitants du Malawi contraints de quitter leurs foyers à la suite d’inondations, en janvier 2008.

« Lame de fond ». Le titre du rapport de la Banque mondiale sur les déplacés climatiques, publié lundi 19 mars, a le mérite de la clarté. Car c’est un phénomène puissant et potentiellement dévastateur auquel doivent s’attendre les pays confrontés aux effets du réchauffement de la planète. Focalisant leur attention sur trois régions, l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique latine, qui cumulent 55 % de la population des Etats en développement, les experts sollicités par l’institution internationale estiment que cet ensemble géographique pourrait connaître des déplacements internes, hors conflit armé, d’une ampleur de 143 millions de personnes d’ici à 2050.

L’institution basée à Washington ne se contente pas de jouer les Cassandre, elle trace aussi des pistes de réflexion. « Le changement climatique a déjà des impacts sur les mouvements de population et le phénomène pourrait s’intensifier, reconnaît John Roome, le directeur en charge du changement climatique à la Banque mondiale. Mais si l’on parvient à limiter les émissions de gaz à effet de serre et à encourager le développement par des actions en matière d’éducation, de formation, d’usage des terres… ce sont seulement 40 millions de migrants climatiques, et non 143 millions, auxquels ces trois régions devront faire face. La différence est énorme », plaide le responsable, convaincu qu’une crise migratoire à grande échelle est évitable à condition d’anticiper ces déplacements internes massifs.

Dans un rapport rendu public en novembre 2017, l’ONG internationale Oxfam avançait le chiffre de 22 millions de personnes forcées, chaque année (sur la période 2008-2016), à quitter leur cadre de vie en raison du dérèglement climatique.

Submersion des côtes et baisse des récoltes

La Banque mondiale fonde son analyse sur trois études de cas puisés dans le vaste ensemble des pays en développement : l’Ethiopie, le Bangladesh et le Mexique. Afin d’obtenir des tendances les plus précises possibles, les chercheurs de l’Institut de la terre de l’université de Columbia, de l’Institut de recherche démographique de l’université de New York et de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact du climat, ont construit un modèle croisant des indicateurs comme la hausse de la température, les évolutions des précipitations, la montée du niveau de la mer, avec des données démographiques et socio-économiques.

Suivant la logique adoptée dans les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ils ont ordonné leurs projections autour de trois scénarios : un pessimiste dans lequel les émissions de gaz à effet de serre restent élevées tandis que le développement économique est inégal ; un intermédiaire, où l’économie s’améliore et les émissions stagnent ; enfin une évolution « climatocompatible », qui combine une baisse des émissions et des progrès en matière de développement.

Dans le scénario pessimiste exploré par les experts, l’Afrique subsaharienne pourrait être confrontée, au mitan du siècle, au déplacement interne de 86 millions de personnes. A cette même échéance, l’Asie du Sud et l’Amérique latine pourraient enregistrer respectivement 40 et 17 millions de migrants climatiques.

Le rapport met aussi en lumière la multiplicité des facteurs qui contraignent les populations à quitter leur lieu de vie et distingue des caractéristiques propres à chaque région. En Ethiopie, pays tourné vers l’agriculture et marqué par une forte croissance démographique (jusqu’à 85 % d’ici à 2050), c’est la baisse des récoltes qui constitue la première cause de migration. Le Bangladesh est fragilisé notamment par des épisodes de submersion de ses zones côtières et des difficultés d’accès à l’eau potable. Le Mexique, lui, voit déferler dans les centres urbains les populations des régions rurales affectées par le réchauffement. Mais il est mieux armé en raison de son tissu économique plus diversifié.

En dépit de la diversité des situations, la migration peut constituer « une bonne stratégie d’adaptation, à partir du moment où les pouvoirs publics accompagnent cette transition et préparent les zones d’accueil », assure John Roome. Le discours développé par la Banque mondiale passe un peu vite sur le caractère contraint du départ de ces populations. « Cet argumentaire positif nécessite que les Etats disposent des structures administratives et économiques pour soutenir la création d’opportunités professionnelles sur leurs territoires », complète Marine Denis, doctorante en droit public à l’université de Paris-XIII.

Un projet de Pacte mondial sur les migrations

La chercheuse, qui prépare une thèse sur les déplacés environnementaux, doute de la capacité de nombreux pays en développement à concevoir de tels programmes d’aide à l’emploi et à obtenir les marges de manœuvre financières nécessaires à leur mise en œuvre. La Banque mondiale se pose, certes, en « facilitateur du dialogue entre les agences des Nations unies et les Etats », mais ne pousse pas l’analyse à son terme, considère la doctorante.

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Le périmètre de l’étude fait débat. En décidant de n’examiner que les déplacements supérieurs à 14 kilomètres, les auteurs du rapport laissent de côté la réalité des petits Etats insulaires, qui figurent pourtant au premier rang des victimes du changement climatique. « Dans la construction de notre modèle, il a fallu faire des choix, et ces territoires insulaires sont démographiquement peu significatifs, assume Alex de Sherbinin, de l’Institut de la terre de Columbia. Il est vrai par ailleurs qu’aucun pays du Nord n’est cité dans le rapport, mais cela ne veut évidemment pas dire que l’Europe ou les Etats-Unis ne sont pas confrontés, eux non plus, à la problématique des migrants climatiques. »

« La vision de la Banque mondiale est centrée sur l’adaptation et l’habitabilité du territoire, analyse Marine Denis. Elle occulte, en revanche, la question des migrations transfrontalières. » Le rapport dépeint, par exemple, un tableau incomplet de la situation du Bangladesh en n’abordant pas la pression migratoire aux frontières de l’Inde voisine. Un sujet sans doute trop sensible pour cette institution internationale qui émane directement du système onusien.

Le document ne mentionne pas davantage les discussions en cours pour préciser le statut de ces migrants climatiques. Face à ce vide juridique, l’Assemblée générale des Nations unies doit adopter en septembre un Pacte mondial sur les migrations. Ce projet est d’ores et déjà affaibli par une décision de Donald Trump. Au début de décembre 2017, le président républicain a annoncé le retrait des Etats-Unis de ce projet de pacte, jugé « incompatible » avec la politique migratoire américaine.

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