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Pourquoi la « non-mixité » est-elle critiquée ?

L’organisation d’ateliers réservés aux minorités dans l’université de Tolbiac occupée relance le débat sur cette forme controversée de militantisme.

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Publié le 18 avril 2018 à 16h25, modifié le 07 mai 2018 à 16h08

Temps de Lecture 4 min.

Des étudiants accrochent une banderole a la grille du campus Tolbiac de l’université de Paris-I,  le 11 Avril.

Les étudiants qui organisent le blocage du campus Tolbiac de l’université Paris-I contre la réforme de l’accès à l’université ont déclenché une polémique, mardi 17 avril, en annonçant l’organisation d’un atelier en « non-mixité raciale », dans le cadre de cours alternatifs :

Cet atelier a finalement été annulé « pour des raisons d’organisation », selon une responsable du syndicat d’étudiants l’UNEF à Tolbiac, qui n’exclut pas la tenue d’autres réunions du même type. Pour la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), réserver un espace de parole à des personnes s’estimant discriminées, en excluant la participation de Blancs, est une « pratique raciste ».

En novembre 2017, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait jugé « inconstitutionnel et inacceptable » le projet de réunion non mixte similaire, organisé par le syndicat SUD-Education 93. Une douzaine de militants ont été entendus en avril par la police de Bobigny pour des faits de « discrimination ».

Si la polémique témoigne d’une réelle tension sur le sujet, la « non-mixité » est pourtant un mode de militantisme qui n’a rien de neuf.

La non-mixité, qu’est-ce que c’est ?

Dans les années 1970, la non-mixité est devenue une forme de militantisme, caractéristique de certains mouvements féministes, ou encore des mouvements antiracistes ou LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres). Dans cette perspective, il s’agit de réserver ponctuellement des espaces de réunion et de parole à des groupes perçus comme opprimés, en excluant des personnes considérées comme appartenant à un groupe de « dominants », voire d’« oppresseurs ».

Depuis quand cela existe-t-il ?

La non-mixité s’est enracinée comme pratique militante dans les années 1970. Un peu plus tôt, dans les années 1960, le « mouvement des droits civiques » aux Etats-Unis – qui désigne les luttes livrées pour mettre fin à la ségrégation raciale – pratiquait déjà la non-mixité en excluant des personnes blanches de certains rassemblements.

En France, ce sont surtout les mouvements féministes qui en ont fait un mode d’action. Le Mouvement de libération des femmes (MLF), très actif dans la lutte pour le droit à la contraception et à l’avortement dans les années 1970, refusait la présence d’hommes dans ses groupes de parole. Cette pratique perdure au sein de certaines associations féministes. Par exemple, durant le mouvement Nuit debout, en 2016, la « commission féministe » avait suscité la critique en réservant certaines réunions aux « femmes et minorités de genre ».

Lire (en édition abonnés) : Article réservé à nos abonnés La non-mixité raciale, outil d’émancipation ou repli communautaire ?

A l’été 2016 toujours, cette fois dans le cadre de la lutte antiraciste, un « camp d’été décolonial » était réservé aux personnes « non blanches », ce qui a provoqué une polémique. L’année suivante, le festival « afroféministe » Nyansapo, à Paris, avait provoqué la polémique en déclarant trois espaces (sur quatre) « non mixtes ».

Mais si la non-mixité est critiquée, elle est aussi mieux acceptée qu’auparavant, y compris par les pouvoirs publics. La Maison des femmes de Paris, ou celle de Montreuil, en Seine-Saint-Denis, sont des lieux financés par l’argent public et exclusivement réservés aux femmes.

Pourquoi le principe est-il remis en cause ?

La non-mixité fait régulièrement polémique car elle oppose deux visions de la lutte contre les discriminations et heurte le principe d’égalité entre les individus.

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A ce titre, les débats sur le sujet ressemblent souvent à ceux sur la discrimination positive. Il y a d’un côté ceux qui y voient un « racisme à l’envers », qui estiment que la non-mixité recrée une inégalité au lieu de la supprimer et encourage le communautarisme plutôt qu’elle ne le fait reculer. Dans cette conception, la mixité permet un mélange des groupes sociaux nécessaire à leur connaissance, à leur respect mutuel. C’est la diversité qui est la condition de l’égalité entre les personnes.

La Licra ou encore SOS-Racisme s’inscrivent dans cette ligne de pensée. Leurs présidents dénonçaient par exemple dans Le Monde une dérive « identitaire » et un « retour des catégories raciales » à propos du festival Nyansapo.

Le ministre de l’éducation nationale dénonçait fin 2017 « des pratiques contraires à la Constitution » et qui portaient atteinte à la « cohésion nationale ».

Pourquoi certaines associations tiennent-elles à la non-mixité ?

Pour les partisans de la non-mixité, cette dernière est « une nécessité » pour atteindre l’égalité. Ils s’inscrivent dans un courant de pensée marxiste et lisent les rapports sociaux au prisme de la domination.

Selon eux, l’exclusion des « groupes dominants » (hétérosexuels, hommes, personnes de couleur blanche…) est la seule façon de permettre aux « opprimés » de s’émanciper d’une domination raciale ou masculine qui les oppresse, et de prendre librement la parole.

Christine Delphy, féministe et sociologue, explique ainsi que la non-mixité est indispensable aux minorités « pour que leur expérience de discrimination et d’humiliation puisse se dire, sans crainte de faire de la peine aux bons Blancs ».

Lire (en édition abonnés) : Article réservé à nos abonnés « Contre la logique séparatrice, il faut défendre la mixité comme principe sociopolitique »

C’est également de cette manière que le collectif Mwasi, initiateur du Festival Nyansapo, justifie l’organisation de réunions « non mixtes » dans un entretien donné à Vice. « Le fait est que les Blancs sont dépositaires d’un pouvoir hégémonique exorbitant, déclarait par exemple au Monde la sociologue Nacira Guénif-Souilamas, professeure à l’université Paris-VIII, proche du collectif. Ces jeunes femmes veulent simplement créer un espace d’échange sûr et rassurant. »

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