Dans le viseur des autorités britanniques de protection des données, mais aussi de la justice américaine, la société Cambridge Analytica, accusée d’avoir illégalement acquis des données d’utilisateurs du réseau social Facebook, a annoncé, mardi 20 mars, la suspension de son patron, Alexander Nix.
Cette décision, explique Cambridge Analytica, a été prise à la suite de la publication de « commentaires » de l’intéressé enregistrés par la chaîne britannique Channel 4 News et d’autres « allégations » formulées à son encontre, qui « ne représentent pas les valeurs » de la société spécialisée en communication stratégique et analyse de données à grande échelle.
« Il n’y a aucune preuve »
Les « commentaires » en question sont issus d’une enquête diffusée lundi et mardi par la Channel 4 News, où M. Nix apparaît en caméra cachée répondant aux questions d’un reporter à l’identité déguisée.
Les derniers éléments publiés le montrent se vantant du rôle joué par son entreprise aux Etats-Unis dans la campagne présidentielle du candidat républicain Donald Trump en 2016. « On a dirigé sa campagne numérique », assure-t-il.
Et l’homme de mettre en avant le système d’emails autodestructeurs qu’il utilise : « Il n’y a aucune preuve, pas de trace écrite, rien. » Pas de danger que les parlementaires américains percent son secret à jour, ajoute-t-il. « Ce sont des hommes politiques, pas des techniciens. Ils ne comprennent pas comment ça marche. »
La société Cambridge Analytica, qui dispose de bureaux au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, est accusée d’avoir récupéré sans leur consentement les données de 50 millions d’utilisateurs de Facebook pour élaborer un logiciel permettant de prédire et d’influencer le vote des électeurs, afin de peser dans la campagne de présidentielle de 2016.
Mettre en difficulté un rival politique
Channel 4 News a également diffusé une interview avec Hillary Clinton, réalisée en octobre 2017. « Il y avait une campagne d’un genre tout nouveau qui était menée dans le camp d’en face », y explique l’ancienne candidate démocrate en dénonçant « un effort de propagande ».
« La vraie question c’est de savoir comment les Russes ont pu cibler aussi précisément les électeurs indécis dans le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie », trois Etats remportés par le milliardaire, ajoute-t-elle.
Facebook s’est pour sa part déclaré « scandalisé d’avoir été trompé » par l’utilisation des données de ses utilisateurs par Cambridge Analytica. La firme a assuré en outre « comprendre la gravité du problème ». Le réseau social a fait part de sa détermination « à appliquer vigoureusement [ses] politiques pour protéger les informations privées » et « à prendre toutes les mesures possibles pour que cela soit suivi d’effet ».
Dans les enregistrements publiés lundi, Alexander Nix suggère également des techniques pour mettre en difficulté un rival politique, comme par exemple le fait d’« envoyer des filles autour de la maison du candidat ». Interrogé dans le quotidien The Times, il a toutefois démenti avoir tenté de piéger des politiciens. Cambridge Analytica a « nié fermement » ces accusations.
Pouvoir « fouiller les serveurs »
Devant l’ampleur du scandale, une commission parlementaire britannique a demandé mardi au patron de Facebook, Mark Zuckerberg, de venir s’expliquer devant elle. Et elle lui a donné jusqu’à lundi pour répondre. Le PDG a également été invité à s’exprimer devant le Parlement européen, qui va « enquêter pleinement » sur cette « violation inacceptable des droits à la confidentialité des données ».
Aux Etats-Unis, les procureurs des Etats de New York et du Massachusetts, imités par le régulateur américain du commerce (Federal Trade Commission), ont lancé une enquête sur ce scandale. Les autorités chargées de la protection des données au sein de l’Union européenne (UE) se sont également saisies de l’affaire. Le sujet était au menu d’une réunion à Bruxelles, a fait savoir la Commission européenne, dont une représentante devait demander des « clarifications » à Facebook, dont le cours a dégringolé en Bourse.
Au Royaume-Uni, l’Information Commissioner’s Office (ICO), autorité indépendante chargée de réguler le secteur et de protéger les données personnelles, a demandé l’autorisation d’enquêter au sein de Cambridge Analytica afin de pouvoir « fouiller les serveurs » et « effectuer une vérification des données ». Le régulateur britannique a affirmé avoir demandé dès le 7 mars à la société d’accéder à ses dossiers et à ses données, mais n’avoir pas obtenu de réponse « dans les délais impartis ».
Facebook, Twitter et Google sont accusés depuis des mois d’avoir servi à des entités liées à la Russie pour manipuler les opinions publiques, en particulier lors de la campagne présidentielle américaine ou lors de celle du référendum sur le Brexit de 2016. Ils sont aussi régulièrement pointés du doigt pour ne pas protéger suffisamment les données personnelles de leurs utilisateurs, qui sont la base de leur modèle économique.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu