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Coupe du monde 2018 : France-Croatie, bataille d’idées pour un trophée

La Croatie et la France, qui partira favorite de ce match, ont des approches tactiques opposées, liées aux caractéristiques de leur défense.

Publié le 13 juillet 2018 à 10h54, modifié le 15 juillet 2018 à 16h48 Temps de Lecture 8 min.

Au coup d’envoi de France-Belgique, à Saint-Pétersbourg, le 10  juillet.

Analyse tactique. « La défense dicte ses lois à la guerre. » La maxime est de Carl von Clausewitz, théoricien militaire prussien et auteur du traité fondateur De la guerre, dans lequel les partisans du catenaccio (« verrou ») se retrouvent sans doute beaucoup plus que ceux du football total. Près de deux siècles plus tard, cette phrase apparemment sans rapport avec la finale de la Coupe du monde, qui opposera la France à la Croatie dimanche 15 juillet à Moscou, résume pourtant l’un des enjeux tactiques de cette rencontre. C’est en effet la protection de son propre but, plus que l’attaque de celui de l’adversaire, qui dictera le comportement des deux équipes.

Est-ce à dire que Croates et Français passeront le match repliés dans leur camp et que personne ne prendra l’initiative ? Pas vraiment. Car les deux formations ont des approches opposées, liées aux caractéristiques de leur arrière-garde. Largement favoris, les Bleus s’appuient sur une ossature défensive ultrasolide, autour d’une charnière centrale dominatrice dans les airs et protégée par un N’Golo Kanté qui ratisse tous les ballons. Si l’on ajoute un Hugo Lloris en grande forme dans les buts, cela donne le cocktail idéal pour jouer très bas : domination physique, grande discipline (seulement six fautes commises face à la Belgique) et pensée collective. De quoi suivre José Mourinho, quand il assure : « On peut avoir le contrôle sans avoir le ballon. »

Philosophie ambivalente

A l’inverse, la Croatie, positionnée en moyenne beaucoup plus haut sur le terrain, se protège en éloignant au maximum le ballon de sa cage. En multipliant les passes, elle élabore certes des offensives qui doivent déstabiliser l’adversaire, mais elle impose surtout son propre tempo à la partie. A la façon de l’Espagne 2010, elle endort parfois plus qu’elle ne crée. Et rappelle la fameuse phrase de Johan Cruyff, dont le romantisme n’était pas toujours téméraire : « Si nous avons le ballon, les autres ne peuvent pas marquer. » Le symbole de cette philosophie ambivalente se nomme Luka Modric, génial milieu du Real Madrid, dont la candidature au prochain Ballon d’or prend chaque jour un peu plus d’épaisseur. Au cœur du jeu, il est le baromètre, tantôt devant la défense comme pendant une heure face à la Russie, tantôt relayeur voire numéro 10.

A travers Modric, ce sont bien sûr les forces mais aussi, et peut-être surtout, toutes les faiblesses croates qui apparaissent au grand jour. Car si son importance dans l’orientation et la gestion du jeu est cruciale, il doit être mis dans les bonnes conditions pour briller et déchargé d’une partie du travail défensif. D’où le recours au pressing, stratégie peu utilisée dans cette Coupe du monde qui, bien appliquée, oblige l’adversaire à se précipiter et à rendre le ballon.

Face à la Russie, en quarts de finale, Modric n’avait pas suivi le déplacement de Denis Cheryshev, bien content alors de profiter d’un peu d’espace pour frapper en lucarne. Contre l’Angleterre, mercredi soir, un retour en catastrophe mais mal maîtrisé lui avait fait commettre une faute à l’entrée de la surface, convertie directement par Kieran Trippier. Les autres buts concédés par la Croatie ? Un penalty à la suite d’une main du défenseur Dejan Lovren contre l’Islande, une touche mal défendue face au Danemark et une tête russe sur coup franc. Et qui sait quelle serait l’affiche de la finale si, en début de prolongation, Sime Vrsaljko n’avait pas sauvé sur la ligne une tête de l’Anglais John Stones sur… corner, la seule phase arrêtée où la Croatie n’a pas encore été battue.

Le football est imprévisible, mais le rapport de force semble jusqu’ici nettement à l’avantage des Bleus : pourquoi Samuel Umtiti et Raphaël Varane, impeccables face aux grands gabarits belges et uruguayens lors des deux derniers matchs et même buteurs de la tête, ne pourraient-ils pas réitérer la performance contre un adversaire qui peine à défendre dans sa surface ? C’est cette question, et l’évidence de la réponse malgré la taille de l’attaquant Mario Mandzukic, qui laisse imaginer un match à la physionomie similaire à ceux contre la Belgique et l’Argentine. Un adversaire qui veut le ballon, une équipe de France très contente de le laisser, et une grosse bataille au milieu pour rendre les attaques croates les plus inoffensives possibles.

La défense française dicte ses lois

Si l’Angleterre, qui défendait à huit en laissant deux attaquants prêts à contre-attaquer, a été trahie par son infériorité numérique au milieu (un 5-3-2 où la ligne de trois doit couvrir toute la largeur), la France a prouvé qu’elle n’avait pas peur de mettre dix joueurs dans son camp, la vitesse de Kylian Mbappé suffisant à se montrer dangereux une fois le ballon récupéré. Tout le monde, à l’exception parfois du Parisien, est donc concerné par cette récupération, avec une stratégie simple : Antoine Griezmann et Olivier Giroud empêchent les milieux d’être trouvés dans de bonnes conditions, Paul Pogba se charge de marquer le passeur et N’Golo Kanté se concentre sur la cible. Contre l’Argentine, ce n’est pas tant en défendant bien sur Lionel Messi qu’en le coupant d’Ever Banega, son principal pourvoyeur de ballons, que la France avait tué la menace dans l’œuf. Si Marouane Fellaini fut également géré facilement, Pogba, qui est le plus apte à remplir le rôle à condition de permuter avec Blaise Matuidi au milieu, pourrait trouver en Modric son adversaire le plus coriace…

Car la Croatie, dont le jeu peut vite devenir stéréotypé, entre actions individuelles des ailiers Ivan Perisic et Ante Rebic et multiples centres des latéraux Vrsaljko et Strinic, est jusqu’ici animée d’une force qui dépasse la tactique – là où la France, qui adapte la sienne à l’adversaire, n’a jamais eu besoin d’exploits. Ni un penalty raté en fin de prolongation en huitième de finale, ni une égalisation concédée sur le fil en quart, ni la fatigue accumulée, n’ont empêché les hommes de Zlatko Dalic, menés lors de leurs trois dernières rencontres, de poursuivre l’aventure. Et si Lovren a échoué cette année en finale de Ligue des champions, les titres européens accumulés par Rakitic, Modric, Mandzukic, Kovacic (huit C1 et une C3 à eux quatre) et Vrsaljko (une C3), font plus qu’équilibrer la balance de l’expérience des grands rendez-vous.

D’autant qu’il reste une variable de taille : comment la France, qui devrait être capable de provoquer des déséquilibres partout sur le terrain, réagirait-elle en cas de scénario défavorable ? Menée presque par hasard par l’Argentine, elle était partie à l’attaque, les boulevards défensifs de l’Albiceleste et une volée de Benjamin Pavard inversant immédiatement la dynamique. Neuf minutes de course-poursuite suffisent-elles à juger de la percussion d’une équipe qui semblait presque inoffensive sur attaque placée il y a de cela un mois ? Si la défense française dicte ses lois dans ce Mondial, la puissance de son attaque n’a pas encore été inscrite dans les textes.

Christophe Kuchly

Le Monde

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