Drapeaux catalans sur le dos, des centaines de milliers de manifestants – ils étaient 450 000 selon la police municipale – ont à nouveau répondu, samedi 21 octobre, à l’appel des deux grandes associations indépendantistes Omnium Cultural et l’Assemblée nationale catalane (ANC). Toutes deux réclament la mise en liberté de leurs responsables, accusés de sédition par Madrid, et elles protestent contre la décision prise quelques heures plus tôt par le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, de destituer le gouvernement catalan.
Malgré l’escalade dans l’affrontement entre Madrid et Barcelone, il régnait une ambiance festive sur le Passeig de Gràcia, l’une des artères principales de la ville, troublée de temps en temps par des huées, des sifflements et quelques bras d’honneur adressés aux hélicoptères de la police qui survolaient régulièrement la masse compacte de manifestants.
Puigdemont présent
Venus avec des pancartes qui, en anglais, demandaient d’« aider la Catalogne » et de « sauver l’Europe », ils ont demandé la libération des « deux Jordi » — Jordi Cuixart et Jordi Sanchez —, tête de file d’Omnium Cultural et de l’ANC, qui ces dernières années ont organisé des rassemblements monstres en faveur de la sécession.
Les deux associations ont une fois de plus démontré leur énorme capacité de mobilisation dans les rues du centre-ville, pour défendre ceux qu’elles considèrent comme des « prisonniers politiques ».
Le 16 octobre, MM. Sanchez et Cuixart ont été inculpés pour sédition par l’Audience nationale, la haute juridiction chargée notamment des affaires de sécurité nationale. Ils sont soupçonnés d’avoir encouragé des centaines de personnes, le 20 septembre à Barcelone, à bloquer la sortie d’un bâtiment où des gardes civils perquisitionnaient en lien avec l’organisation du référendum du 1er octobre.
Le président catalan, Carles Puigdemont, et tout son gouvernement, ainsi que la présidente du Parlement régional, Carme Forcadell, ont décidé d’assister à la manifestation après que le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, eut annoncé le transfert des prérogatives de l’administration catalane à Madrid. Ils n’ont fait aucune déclaration, se limitant à écouter les discours des organisateurs.
M. Puigdemont s’est toutefois exprimé plus tard dans la soirée, qualifiant les mesures prises par Madrid de « pires atteintes » contre sa région depuis la dictature de Franco. Le président de la Généralité, qui n’a toujours pas déclaré l’indépendance, a demandé une réunion du Parlement catalan pour répondre à Madrid. « Imposer une forme de gouvernement qui ne correspond pas au choix des citoyens est incompatible avec l’Etat de droit », a-t-il ajouté. S’adressant aux Européens en anglais, M. Puigdemont a déclaré que les « valeurs européennes » étaient « en danger ».
Egalement présente dans les rangs des manifestants, la maire de Barcelone, Ada Colau, s’est dite « consternée » par les événements. « C’est le jour le plus terrible de ces quarante dernières années », a-t-elle dit. « Mais il n’est pas trop tard pour rectifier », a ajouté Mme Colau, qui a demandé au Parti socialiste (PSOE), avec qui elle gouverne en coalition, de ne pas soutenir la décision de Madrid de suspendre l’autonomie catalane.
« Dignité et indépendance »
Aux cris de « dignité et indépendance » les manifestants, en grande majorité des habitués de ces grands rassemblements séparatistes, ont commencé à converger dès 16 heures. Après les discours, ils sont restés dans la rue durant des heures.
« Nous venons de Gérone, nous sommes venus à chaque manifestation », dit Mercé, employée de banque. Elle se dit prête à se mobiliser « tous les jours s’il le faut ; on trouvera bien l’énergie pour le faire », mais elle insiste sur le caractère pacifique de « toutes les décisions que nous devrons prendre dans les prochaines semaines, c’est ce qui fait notre grande force ».
Maria est étudiante. Elle veut la république tout de suite et aurait aimé que M. Puigdemont déclarât l’indépendance trois semaines plus tôt, après le scrutin déclaré illégal par Madrid. Elle dit être « déçue par la réaction de l’Union Européenne », mais elle estime qu’une Catalogne indépendante n’en aurait pas besoin, « on pourrait devenir comme Andorre, un paradis fiscal », dit-elle.
Xavier est venu de Calella, une petite localité au nord de Barcelone, avec son fils de 3 ans, Biel. Il vient d’écrire sur le bras du petit son numéro de portable au cas où Biel se perdrait dans la foule. « Il avait à peine quelque mois et je l’emmenais déjà à sa première Diada », la fête nationale catalane, qui, depuis sept ans, chaque 11 septembre, sert de vitrine au mouvement indépendantiste. Xavier a une petite entreprise de peinture et rénovation.
« Je travaille surtout en Catalogne, la décision prise par les grandes entreprises ne m’inquiète pas, il y a 260 000 PME dans la région, alors vous savez, un peu plus, un peu moins. »
Opposer une résistance pacifique
« Personne ne sait ce qui va se passer », dit Enrique, qui travaille pour le département de l’éducation catalan à Barcelone. Il n’est pas inquiet de la décision du gouvernement espagnol, mais il propose d’opposer une résistance pacifique, « si un responsable de Madrid vient nous donner des ordres ». Les fonctionnaires « lui répondront en catalan ou ne lui répondront pas du tout, ce n’est pas si facile de donner des ordres à ceux qui ne veulent pas vous obéir ».
Joan, qui est professeur à Terrassa, estime que la mobilisation permanente qu’ont demandée les associations indépendantistes, « va être difficile à maintenir, car les gens ne peuvent pas être tout le temps dans la rue », mais, ajoute-t-il « nous n’avons pas le choix, c’est seulement comme ça que Madrid va comprendre que nous n’allons pas céder ».
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