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La qualité nutritionnelle, grande absente des débats sur l’alimentation

Sujet plus complexe que la sécurité alimentaire mais tout aussi important, la qualité nutritionnelle des aliments semble ignorée par les pouvoirs publics.

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Publié le 14 octobre 2017 à 08h13, modifié le 14 octobre 2017 à 08h40

Temps de Lecture 5 min.

Des fruits et légumes récoltés dans un jardin sur un toit à Paris, le 22 septembre 2017.

Présents dans tous les aliments que nous ingérons, certains nutriments que le corps ne peut synthétiser nous sont indispensables (fer, calcium, etc.), d’autres sont essentiels pour le bon fonctionnement de l’organisme (sucres, protéines, etc.) ou simplement bénéfiques pour notre santé. A l’inverse, prévient le Haut Conseil de la santé publique, les déséquilibres nutritionnels aggravent les risques de certaines maladies chroniques, comme les maladies cardiovasculaires, l’ostéoporose ou encore le diabète. Pourtant, jusqu’à aujourd’hui et malgré le lancement d’Etats généraux de l’alimentation à la fin d’août — qui dureront jusqu’à la fin de novembre —, aucune étude suffisamment vaste ne permet de mesurer de manière fiable et globale l’évolution de la qualité nutritionnelle de nos aliments.

  • Un thème oublié des Etats généraux de l’alimentation ?

Si beaucoup de normes concernent le secteur alimentaire, aucune exigence réglementaire n’existe sur cet aspect, qui détermine la valeur énergétique de la nourriture. Un rapport parlementaire suggérait en 2006 de former les agriculteurs à ce sujet, en vain. Les Etats généraux de l’alimentation ne l’évoquent pas. « Ce sera dans le chantier 2, qui débute dans les prochains jours », promet Stéphane Vaxelaire, chef du département des relations extérieures du ministère de l’agriculture. Rien ne le présage pourtant dans les ateliers au programme.

« C’est un travail de longue haleine qui nécessite beaucoup d’efforts et d’argent. Personne ne veut le financer », regrette de son côté le médecin nutritionniste Ambroise Martin, expert auprès de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Difficile, sans cette base, d’améliorer la valeur nutritionnelle de l’alimentation. « Les nutritionnistes ne sont pas capables aujourd’hui de nous dire ce qui est prioritaire », ajoute Catherine Renard, directrice de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Résultat, les pouvoirs publics continuent d’éluder la question et s’en tiennent au programme national nutrition santé (PNNS), qui se contente de recommander de manger un peu de tout.

  • La composition nutritionnelle décline-t-elle réellement ?

Ces dernières années, certains chercheurs s’alarment de l’essor de la « calorie vide ». Il faudrait par exemple manger cent pommes aujourd’hui contre une dans les années 1950 pour avaler la même quantité de vitamine C ; une allégation contenant des biais méthodologiques, qui s’appuie sur un rapport de Brian Halweil publié en 2007. Plus les rendements augmentent dans l’agriculture, plus la concentration de nutriments diminue, avance ce chercheur au Worldwatch Institute. Un autre article de Donald Davis, de l’université du Texas, met aussi en avant une baisse des teneurs dans les fruits et les légumes.

Outre l’agriculture intensive, la sélection de variétés sur des critères esthétiques ou de production, la cueillette précoce, les processus de transformation ou encore l’appauvrissement de l’alimentation dans les élevages sont critiqués pour leurs effets néfastes sur les nutriments.

Mais des études récentes battent en brèche ces affirmations. Les teneurs en vitamine C ou en magnésium n’ont pratiquement pas varié depuis soixante ans, affirme Léon Guéguen, de l’INRA, dans un article pour l’Académie d’agriculture de France publié en 2016.

Difficile de comparer les valeurs des années 1950 avec celles d’aujourd’hui, les variétés, les sols, la maturité des produits choisis, entre autres, pouvant différer. Le chercheur a tout de même tenté d’évaluer les mutations temporelles en comparant les anciennes tables de composition des aliments avec les nouvelles. Un travail rendu compliqué par l’évolution des méthodes d’analyse et l’inscription dans les anciennes tables d’une simple moyenne, sans précision de la plage de variations entre les valeurs minimales et maximales.

Sur les seize aliments représentatifs retenus, « seuls le blé (+ 20 %) et le chou vert (+ 78 %) actuels sont plus riches en protéines, tandis que le haricot vert (– 21 %) et la carotte (– 33 %) en sont plus pauvres », écrit le Pr Guéguen. Rien à voir avec « le “grave déclin” annoncé. Ces faibles différences n’ont aucun impact nutritionnel », souligne-t-il.

  • Le bio est-il plus riche en nutriments ?

Sa collègue Catherine Renard, qui travaille sur la préservation de la qualité des fruits et des légumes, est du même avis : « Sur le plan strictement nutritionnel, nous sommes dans le même ordre de grandeur qu’il y a soixante-dix ans. » Son équipe a remarqué des plages de variabilité très larges entre des fruits et des légumes pourtant de la même variété, plantés dans la même terre et récoltés le même jour.

« Nous avons aussi étudié les différents modes de culture — conventionnel, biologique… — sans trouver d’effet sur la composition nutritionnelle », avance également la directrice de recherches. L’intérêt de la culture biologique résiderait donc uniquement dans l’absence de contaminants (pesticides, herbicides, fongicides) et d’impacts environnementaux.

La communauté scientifique se divise sur ce sujet. Selon l’étude de Newcastle sur les effets de l’agriculture biologique publiée en 2014, la consommation de fruits, de légumes et de céréales bio conduirait à une augmentation de 20 % à 40 % de consommation en polyphénols.

Un rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) précise qu’il y a un faible effet positif du mode de production biologique sur la teneur en vitamine C de la pomme de terre, de la tomate, du céleri, mais aucun sur celle des carottes. Aucune étude ne prouve réellement un effet des aliments bio sur la santé humaine, conclut encore un rapport du service de recherche du Parlement européen paru en décembre 2016.

  • Nos modes de vie, ennemis des nutriments ?

Pour les spécialistes, comme le médecin nutritionniste Ambroise Martin, c’est surtout le mode de conservation des aliments qui importe, ainsi que la méthode de cuisson. « Un fruit conservé huit jours au réfrigérateur apportera beaucoup moins de nutriments que celui consommé juste après la cueillette », explique le nutritionniste. Etant donné nos modes de vie actuels, la qualité nutritionnelle des aliments serait donc davantage préservée dans les produits surgelés ou mis en conserve, s’ils le sont dans la journée après leur récolte.

Les pouvoirs publics tentent toutefois d’améliorer une partie de l’offre alimentaire par des démarches concertées avec les industriels. Mais celles-ci restent volontaires. Des différences significatives entre les produits ciblés et non ciblés par des engagements sur cinq nutriments (sucres simples, lipides, acides gras saturés, fibres et sodium) ont été observées dans 44 % des cas, d’après une étude de l’Oqali parue en 2016, dans quatorze secteurs (biscuits, céréales, confitures, chips, etc.). Mis en œuvre par l’Afssa et l’INRA, cet observatoire mesure l’évolution de la qualité nutritionnelle des produits transformés disponibles sur le marché français.

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