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« Je ne dis pas que Trump est un agent du KGB, mais… »

Le journaliste britannique Luke Harding, auteur d’un livre choc sur Donald Trump, soutient que le Kremlin cultive des liens avec le milliardaire américain depuis plus de trente ans.

Propos recueillis par 

Publié le 17 novembre 2017 à 20h47, modifié le 18 novembre 2017 à 14h16

Temps de Lecture 5 min.

Vladimir Poutine et Donald Trump, le 11 novembre à Danang, au Vietnam.

Luke Harding est grand reporter au quotidien britannique The Guardian. De 2007 à 2011, il a dirigé le bureau du journal à Moscou, avant d’être expulsé par le Kremlin à la suite de son enquête sur l’assassinat de l’opposant Alexandre Litvinenko. Il écrit ensuite plusieurs livres, dont Russie Etat-mafia (Original découverte, 2012) et Le Dossier Snowden (Belin, 2015).

Il est le seul journaliste, avec son confrère Nick Hopkins, à avoir rencontré Christopher Steele, l’ex-agent des services secrets extérieurs britanniques reconverti dans le « conseil » et auteur d’un rapport de 35 pages révélant les liens présumés entre Donald Trump et le régime de Vladimir Poutine, mis en ligne en janvier par le site BuzzFeed. Son livre Collusion est sorti simultanément dans plus d’une dizaine de pays, jeudi 16 novembre. Traduit en français chez Flammarion, il porte un sous-titre qui ne laisse guère de place au doute : « Comment la Russie a fait élire Trump à la Maison Blanche. »

Qu’attendez-vous de votre livre ?

Je tiens d’abord à dire que tout cela ne tombe pas du ciel. Il existe une tradition lourde et très ancienne d’espionnage russe qui remonte à la guerre froide. Ce qui arrive aujourd’hui n’est que la continuation de ces protocoles développés et testés durant toutes ces années à l’étranger par le KGB et ses successeurs. Cela a même pris une tournure encore plus dramatique à l’ère de Twitter et de Facebook. Je pense qu’il y a une sous-estimation, une sous-appréciation du rôle du renseignement russe dans tout ce que nous observons aujourd’hui.

Ce que j’ai tenté de faire avec mon livre est d’abord de révéler une nouvelle étape dans l’enquête de Christopher Steele. J’ai voulu aussi tenter une contextualisation de toute cette histoire de relations nouées entre Moscou et Donald Trump. Il faut remonter à la première visite de M. Trump durant l’été 1987 à Moscou. Il avait alors été invité par les autorités soviétiques, et le voyage avait été organisé par Intourist, une branche auxiliaire du KGB. Il faut peut-être même replonger dans les années 1970, lorsqu’il rencontre sa femme tchécoslovaque [Ivana Zelnickova, mannequin de 28 ans lorsqu’ils se marient en 1977]. A l’époque, le KGB a très probablement ouvert un dossier sur lui.

Comment ?

Le KGB cible traditionnellement les individus pour cultiver des relations et inciter à des recrutements. Pour cela, ils ont une méthode bien précise pour approcher les gens qui pourraient être intéressants et utiles à leurs yeux. Ils cherchent des personnes plutôt narcissiques, plutôt ouvertes ou potentiellement tentées par des rencontres extraconjugales, plutôt faibles aussi pour analyser les choses et qui courent après l’argent. Donald Trump, sur ces points, remplit clairement tous les critères. Je ne dis pas que Trump est un agent du KGB, mais ce que l’on peut dire avec certitude, c’est que Moscou lui a fait les yeux doux, de temps à autre, afin de tirer profit et d’abuser de sa confiance. C’est le cas de Trump ainsi que de son entourage. Et cela remonte à très longtemps. Au moins depuis cette fameuse année 1987 lorsqu’il avait été invité à Moscou…

C’est d’ailleurs deux semaines après son retour à New York que M. Trump envisage pour la première fois une carrière politique, comme vous le rappelez dans votre livre. Mais est-il possible qu’il n’ait rien vu ni su d’une éventuelle tentative d’« hameçonnage » de la part du Kremlin ?

On ne sait pas tout. Mais si vraiment il n’était au courant de rien, sa meilleure défense serait la stupidité. Je ne crois pas que cela soit le cas. L’histoire est tout de même incroyable : M. Trump n’a eu de cesse, de 1987 à 2016, de relancer un projet de construction d’une Trump Tower à Moscou. Son avocat personnel, Michael Cohen, a même envoyé un e-mail ridicule [mi-janvier 2016] à Dimitri Peskov, le porte-parole de Poutine, pour l’aider à relancer ce projet dans la capitale russe.

Au même moment, alors que Trump est en pleine campagne pour la nomination républicaine, le milliardaire affirme publiquement qu’il serait bon de mieux s’entendre avec la Russie et que Poutine est « un gars bien ». D’ailleurs, pourquoi Trump a-t-il toujours été si gentil avec Poutine alors qu’il est si dur avec tout le monde ? Il n’aime pas, et le fait savoir, Angela Merkel, les joueurs de foot de la NFL, Jeff Sessions, les républicains, Kim Jong-un…

La seule manière logique de comprendre ce cheminement, il apparaît – à l’aune des révélations de l’enquête dossier Steele – que Poutine a une sorte d’influence sur Trump. Vous pouvez appeler cela du chantage, une connaissance détaillée sur ses affaires financières, des preuves, des éléments compromettants, ou comme vous voulez, mais il y a quelque chose qui rend Trump incapable d’être méchant avec Poutine ou de le saisir pour ce qu’il est.

Il arrive même à dire qu’il « croit » Poutine lorsqu’il parle des élections russes de 2016 [qui avaient été entachées de fraudes]. C’est quand même une affirmation extraordinaire ! Il préfère croire un ex-membre du KGB que la totalité des services américains.

Donc pour vous, M. Trump sait ce qu’il fait ?

D’une certaine manière, il est un politicien brillant. Il est devenu le premier président en contournant l’élite et la presse, en s’adressant à une large audience directement à travers Twitter. Il a également réalisé que l’on peut mentir dans cette ère postmoderne. Il ment et cela n’a aucune importance. Il a compris que l’époque dans laquelle nous vivons est plus sensible au côté émotionnel qu’aux aspects cartésiens des choses. Les Russes font pareil et ils le font depuis bien longtemps. Poutine l’a lui-même appris sur les bancs du KGB : le mensonge n’a rien d’exceptionnel, ce n’est qu’une méthode opérationnelle.

Christopher Steele a-t-il parlé aux enquêteurs américains ?

Je pense que oui. Il a probablement parlé aux équipes de Robert Mueller [le procureur spécial désigné pour enquêter sur les interférences russes relevées par le renseignement américain dans la campagne présidentielle], mais cela a dû se faire derrière des portes closes. Il ne l’a jamais révélé publiquement.

Pourquoi Steele vous a-t-il donné, à vous, une interview ?

Je ne peux pas répondre à cette question. La seule chose que je peux dire est que je l’ai rencontré avant la publication de son dossier et que j’ai parlé très fréquemment avec des personnes qui lui sont proches.

Parlera-t-il un jour ?

Je ne sais pas. Il n’aime pas beaucoup être mis sous les projecteurs des médias. Il n’était pas pour la publication de son dossier. Il voulait en revanche que celui-ci soit pris sérieusement en main par le FBI.

Quelle pourrait être la prochaine étape ?

Je pense qu’à un moment donné M. Trump va virer le procureur spécial Mueller. Pourquoi ? Parce que s’il inculpe des membres de la famille Trump, comme [son fils] Donald Trump Jr. ou [son gendre] Jared Kushner, Donald Trump n’aura pas d’autre choix que de le jeter par la fenêtre ! Les Etats-Unis seront alors dans une crise constitutionnelle bien plus grande que celle provoquée dans les années 1970 par le Watergate, car cette histoire implique une puissance étrangère, et pas n’importe laquelle.

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