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France-Pérou : les Bleus, le pressing et le cynisme

Face au Pérou, l’équipe de France a choisi de provoquer l’erreur chez l’adversaire plutôt que de créer le déséquilibre. L’analyse tactique des « Cahiers du foot ».

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Publié le 22 juin 2018 à 10h18, modifié le 22 juin 2018 à 12h08

Temps de Lecture 10 min.

La joie des joueurs de l’équipe de France après le but de Mbappé, le 21 juin face au Pérou.

C’est l’histoire d’une demi-finale de Coupe du monde disputée sous la pluie, d’un numéro 10 jouant sans cesse dans le dos de la défense et d’un gagne-terrain qui, à force de mettre l’adversaire sous pression, le pousse à la faute et sape son moral. C’était il y a quinze ans, le ballon était ovale et la France affrontait l’Angleterre. A priori, rien à voir avec le Mondial en cours. Et pourtant… Dans leurs intentions et la manière dont ils font des différences, les Bleus, vainqueurs du Pérou (1-0) jeudi 21 juin, sont parfois plus proches de la bande à Jonny Wilkinson que de l’Allemagne de Kroos en 2014 ou de celle de Xavi en 2010. Dans une Coupe du monde où la largeur d’épaule sert, pour l’instant, plus que la vitesse de course, c’est peut-être dans une forme de minimalisme, sinon de cynisme, que se trouve leur salut.

Retour à Ekaterinbourg. Après dix minutes de jeu d’une rencontre qui débute avec plus d’intensité que la précédente, les Péruviens bénéficient d’une touche à une vingtaine de mètres de leur but. Décidée à jouer plus haut que face à l’Australie, match à l’issue duquel Didier Deschamps avait regretté que « le pressing [ne soit] pas coordonné », l’équipe de France coupe toutes les solutions adverses. Voyant ses partenaires serrés de près, Trauco, le latéral péruvien, décide de propulser la balle loin devant. Pogba anticipe et gagne son duel aérien, Griezmann en fait de même et, après un contre favorable de Giroud, l’attaquant de l’Atlético Madrid se retrouve face au but. S’il ne cadre pas, le ton est donné. Le rappel a lieu à la 33minute : touche rapide jouée par le même Trauco à peine plus haut sur le terrain, récupération de Giroud dans ses pieds et ballon qui va jusqu’à Pogba. Le milieu sert Mbappé en profondeur, mais le Parisien ne parvient à dévier le ballon au point de penalty. Il marquera moins d’une minute plus tard.

La discipline tactique de Giroud

Ces deux occasions, parmi les rares qu’aura l’équipe de France dans une rencontre qui s’éteindra au fil des minutes après l’ouverture du score, naissent d’une situation identique a priori peu dangereuse : une touche pour l’adversaire dans son camp, phase arrêtée idéale pour mettre en place un pressing où il suffit de serrer son homme de près pour espérer récupérer le ballon dans une zone intéressante – sauf si celui qui fait la remise en jeu a fait du javelot dans sa jeunesse et peut envoyer le ballon quarante mètres plus loin. L’activité de Giroud et sa discipline tactique au marquage des centraux, en forçant les Péruviens à solliciter leurs latéraux, a, certes, permis de lancer plusieurs séquences de pressing efficaces. Mais la France, qui peut avoir du mal à se coordonner dans les actions en mouvement, n’a jamais été aussi menaçante que lorsqu’elle a mis le ballon hors du terrain et en a profité pour monter au front.

Sur ces actions précises, la sortie n’était pas volontaire. L’emprunt au rugby, où la zone d’action importe souvent plus que la possession, est, cependant, devenu habituel : grand adepte des engagements directement en touche près du poteau de corner adverse, Rudi Garcia fait partie de ces entraîneurs qui y voient le moyen de mettre l’adversaire sous pression d’entrée de jeu. Et, comme Johan Cruyff, Marcelo Bielsa ou Rafael Benitez, qui l’a inspiré, il travaille spécifiquement les rentrées en jeu à l’entraînement. Dans le magazine Vestiaires, Jean-Claude Suaudeau, ancien emblème du jeu à la nantaise, allait même plus loin : « il nous arrivait, dans les attaques dites placées aujourd’hui, de donner délibérément le ballon à l’adversaire, sans qu’il s’en rende compte, mais sur un joueur ou une zone bien précise du terrain, en faisant en sorte que le contrôle ne soit pas évident à réaliser… Et là, signal, on se jetait dessus. »

Les Bleus ne sont pas au niveau de pensée collective de Loko et consorts, gamins capables de courir partout qui ont grandi ensemble au centre de formation, mais ils peuvent, sur les touches adverses, trouver un moyen simple de s’approcher du but. Sans se livrer et ouvrir des espaces, risque principal du pressing si quelqu’un oublie de suivre le mouvement. « Si on veut jouer le pressing, il faut avoir des joueurs à tous les postes prêts à aller au duel et à la conquête du ballon, soulignait Roger Schmidt, ancien entraîneur de Leverkusen, dans Comment regarder un match de foot ? C’est la première chose à apprendre aux joueurs : quand l’équipe joue le pressing, chacun a ses responsabilités. » Or, même s’ils se sont montrés plus travailleurs contre l’Australie, les Bleus ne sont pas toujours irréprochables quand il faut courir après le ballon…

Provoquer l’erreur chez l’adversaire

Paul Pogba face au Pérou, le 21 juin.

Provoquer l’erreur chez l’adversaire plutôt que créer soi-même le déséquilibre : l’idée peut sembler manquer de noblesse, surtout pour une équipe bien pourvue en éléments talentueux, mais elle est défendue par l’un des plus illustres entraîneurs actuels. Dans l’ouvrage Preparense para perder, La Era Mourinho 2010-2013, Diego Torres énonçait les grands principes du Portugais. En partant de l’idée que « le match est remporté par l’équipe qui commet le moins d’erreurs » et que « celui qui possède la balle a plus de chance de commettre une erreur », le coach mancunien arrivait à l’idée que « celui qui a le ballon a peur et celui qui ne l’a pas est de ce fait plus fort ». Mourinhesques, ces Bleus ?

Avec 43 % de possession et 61 % de duels gagnés face à des Péruviens ambitieux mais plutôt inoffensifs, les Tricolores, régulièrement en difficulté quand il faut prendre le jeu à leur compte face à des équipes regroupées (Albanie 2015 et 2016, Luxembourg 2017, Australie 2018…), ont trouvé une configuration de match qui leur réussit, sans créer beaucoup de déséquilibres. Taillée pour contrer, l’équipe de France n’a jamais réussi à le faire, même quand le Pérou, bien décidé à égaliser, abandonnait l’idée de laisser des joueurs en couverture.

On en revient donc au point de départ. Dans une Coupe du monde fermée, où les discussions entre 4-2-3-1 compacts avec deux milieux très bas devant la défense ne sont pas propices aux envolées lyriques, les coups de pied arrêtés amènent buts et occasions dans des proportions jamais vues. Offensivement, les combinaisons avec blocs et démarquages, empruntées au basket, perturbent des défenses qui privilégient souvent le un contre un à la zone. Défensivement, cibler les touches apparaît comme une solution aussi simple qu’efficace pour s’approcher du but adverse. De là à ritualiser la stratégie et ne pas regretter les ouvertures en profondeur ratées près du poteau de corner ? Iconoclaste, sans doute. Mais quand on a vu l’Argentine essayer de relancer avec Caballero, Tagliafico et Mascherano, on se dit que la Coupe du monde réserve toujours des surprises…

Christophe Kuchly

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