Par Mireille Delmas-Marty (membre de l’Institut, professeur émérite au Collège de France) et Kathia Martin-Chenut (chercheur au CNRS, UMR ISJPS)
Dès les années 1970, l’implication d’entreprises transnationales dans des violations des droits de l’homme, pendant le régime de Pinochet ou l’apartheid, avait soulevé la question de savoir comment responsabiliser les quelque 7 000 entreprises transnationales qui existaient alors.
Elles sont désormais plus de 100 000, dont la sphère d’influence s’étend à quelque 900 000 entreprises qui se livrent à une concurrence féroce. Responsabiliser ces géants économiques privés devient un enjeu prioritaire de la gouvernance mondiale, sur lequel on aimerait d’ailleurs mieux connaître les engagements des candidats aux élections présidentielles.
Une avancée majeure
La loi sur le « devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », doit être saluée comme une avancée majeure. Elle vient d’être votée par le parlement français après un processus législatif long et mouvementé. Pourtant, les adversaires de cette loi ont saisi le Conseil constitutionnel, certains considérant que ce texte serait incompatible avec le principe de la liberté d’entreprendre, sur lequel le Conseil constitutionnel français avait fondé la censure en décembre 2016 de la loi Sapin II (reporting public pays par pays visant à limiter les pratiques dites d’optimisation fiscale des transnationales).
Quand il s’agit de prévenir des violations des droits humains particulièrement graves, opposer la liberté d’entreprendre au devoir de vigilance aboutirait à placer le droit au service des seuls intérêts économiques. A ce grave recul par rapport à la légitimité éthique s’ajouterait, du point de vue de l’efficacité empirique, un véritable déni de réalité devant l’ampleur des mutations en cours.
Dans un monde interdépendant, où ni les flux économiques et financiers, ni les risques environnementaux, sanitaires ou sociaux, ni les crimes transnationaux, ne s’arrêtent aux frontières des Etats, il faut en effet résoudre deux difficultés propres au caractère « trans » national des entreprises.
D’une part leur ubiquité, qui facilite le déplacement des activités en fonction des législations les plus favorables, tandis que les Etats, dits souverains, sont tenus par le principe de territorialité qui arrête la souveraineté aux frontières.
D’autre part leur organisation réticulaire, qui empêche d’identifier les responsables, protégés par l’opacité de la chaîne des valeurs.
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