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Femmes ou hommes, qui bénéficie le plus des budgets publics ?

La « budgétisation sensible au genre » permet d’analyser les bénéficiaires des politiques publiques et vise à promouvoir l’égalité réelle entre femmes et hommes.

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Publié le 08 mars 2017 à 13h28, modifié le 27 juillet 2017 à 20h46

Temps de Lecture 6 min.

Des jeunes filles colorient une carte de « Paris Plages » à Paris, le 20 juillet 2015.

Peu connue du grand public, la « budgétisation sensible au genre » est aujourd’hui loin d’être circonscrite à d’obscures réflexions militantes. Son but ? Analyser la distribution des dépenses et des recettes publiques en termes de genre, pour objectiver les différences de traitement. Autrement dit, répondre à ces questions : quelle part du budget bénéficie, directement ou indirectement, à une majorité d’hommes ou de femmes ?

Le concept est n’est pas nouveau. Porté par des économistes féministes à partir des années 1980, il est recommandé par l’ONU femmes depuis 1995 et le Conseil de l’Europe depuis 2009.

Sa mise en application reste cependant encore très timide. Depuis 2007, l’Autriche, la Belgique et l’Espagne ont inscrit dans la loi l’obligation de prendre en compte le genre dans le processus budgétaire. En France, une première étape a été franchie avec la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre femmes et hommes. L’article 61 prévoit que les collectivités de plus de 20 000 habitants devront présenter avant le débat d’orientation budgétaire un rapport relatif à leurs actions en faveur de l’égalité. Un rapport qui n’est pas toujours public, pas toujours suivi d’effets et dont la qualité dépend fortement de la volonté politique et de la formation des collectivités concernées.

Quels sont les leviers du « gender budgeting » ?

Ces rapports doivent permettre aux collectivités de dresser un premier état des lieux, en établissant notamment des statistiques genrées concernant leurs actions. L’outil ne se borne pas à étudier les budgets alloués à l’égalité entre les femmes et les hommes. Il se veut être une aide à la décision politique concernant l’ensemble des ressources et des dépenses publiques.

  • Les dépenses publiques, un enjeu de redistribution

Les subventions publiques

Il s’agit par exemple d’analyser la fréquentation genrée des différents clubs sportifs subventionnés, mais aussi le montant de la subvention par tête en fonction du genre.

« Dans une ville de Haute-Garonne, les hommes représentent 60 % des licencié-e-s de clubs sportifs. Ils bénéficient [cependant] de 73 % des subventions. La municipalité accorde 22,70 euros par homme inscrit dans une association sportive contre 12,90 euros par femme », souligne le centre Hubertine Auclert, organisme francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes.

Les équipements publics

Bien que libres d’accès, la plupart des équipements publics ne sont pas fréquentés à égalité par les hommes et par les femmes.

« Les collectivités publiques mettent en place des équipements, des projets, des politiques qui visent à ce que tout le monde ait accès aux droits fondamentaux, dont font notamment partie les loisirs. […] Mais de fait, on ne peut pas simplement décréter un “accès libre au sport” et aux équipements publics sportifs, explique Edith Maruéjouls, experte sur les questions d’égalité dans l’espace urbain. De manière générale, les premiers sports subventionnés sont ceux “des hommes”, où plus de 80 % des usagers sont masculins : les boulodromes, les skate parcs, les city stades. Inversement, les espaces sportifs de pratique majoritairement féminine, comme les centres d’équitation, sont rarement financés par la puissance publique. »

Les aides publiques

Apparemment obtenues indépendamment de critères genrés, certaines aides publiques ne bénéficient pas à égalité aux hommes et aux femmes.

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Le centre Hubertine Auclert développe l’exemple d’un conseil départemental, qui « propose une aide à la création d’entreprise pour les jeunes sous la forme d’une subvention de 3 000 euros [...]. Pour accéder à cette subvention, il faut avoir moins de 30 ans et créer son activité dans le domaine de l’artisanat de production, du bâtiment, de l’industrie et des services aux entreprises ». Dans ces secteurs, les créatrices d’entreprise sont sous-représentées. Ce qui explique un écart de plus de dix points entre le nombre de créatrices d’entreprises (34 % dans le département concerné) et celui des bénéficiaires féminines de la bourse (21,85 %).

Les commandes publiques

Selon l’OCDE, les marchés publics représentent plus de 26 % des dépenses publiques totales en France en 2013.

Un levier moins évident que celui des subventions, mais qui est central pour le centre Hubertine Auclert. « Pour œuvrer pour l’égalité femmes-hommes, les collectivités peuvent utiliser des “clauses d’insertion” dans leurs contrats. Les critères principaux d’attribution du marché restent le prix et la valeur du produit ou du service vendu, mais l’entreprise sélectionnée s’engage à promouvoir l’égalité professionnelle. Elle doit réserver une partie des heures de main-d’œuvre à des publics éloignés de l’emploi, proposer des formations en interne, etc. ».

  • La fiscalité, un enjeu d’égalité devant l’impôt

La budgétisation genrée ne porte pas que sur les dépenses. Certaines collectivités ont mis en place un quotient familial local, pour lutter contre les inégalités liées au genre.

En l’absence de modification du quotient familial, le calcul du prix payé pour accéder aux prestations proposées par la collectivité (accueil des enfants pendant les vacances, centre de loisirs, restauration scolaire, conservatoire, etc.) est effectué à partir du nombre d’adultes par foyer fiscal. Chaque adulte correspond à une demi-part.

En 2012, le conseil municipal de Suresnes a décidé d’ajouter une demi-part aux chefs de familles monoparentales. « Nous nous sommes aperçus qu’au même niveau de revenu, les familles monoparentales payaient plus cher [que les familles avec deux parents] pour les services proposés par la ville », explique Gunilla Westerberg-Dupuy, adjointe au maire de Suresnes, déléguée à la solidarité, à l’égalité des chances, aux droits des femmes.

Il s’agit bien d’une mesure visant à réduire les inégalités femmes-hommes. 85 % des familles monoparentales sont constituées de mères avec enfants. Selon l’Insee, plus de 39 % de ces familles vivent sous le seuil de pauvreté, contre 15,7 % en moyenne en France pour les moins de 65 ans.

Pourquoi la mise en application du « gender budgeting » est-elle lente ?

  • La budgétisation sensible au genre nécessite du temps et des moyens

A Suresnes, la réflexion sur le quotient familial local a démarré en 2010. Votée pour la première fois en 2012, la mesure a été reconduite depuis chaque année. En 2015, elle a coûté plus de 30 000 euros à la mairie (tenue par le parti Les Républicains). « Cette mesure allège la vie des familles monoparentales et donc de femmes souvent en situation de précarité. Elle traduit une volonté politique forte », explique Gunilla Westerberg-Dupuy.

A Aubervilliers, mairie communiste, on insiste également sur la volonté politique. « La mairie propose une mission “droit des femmes et lutte contre les discriminations” depuis 2005. Nous menons des actions en direction du grand public (sensibilisation, accès aux droits et à l’emploi pour les femmes, etc.) et en direction des professionnels (formation à la lutte contre les stéréotypes, notamment de l’encadrement sportif municipal et associatif) », raconte Yéléna Perret, chargée de mission droits des femmes. Il y a deux ans, la mairie a décidé de travailler spécifiquement sur les politiques à destination de la jeunesse. Avec l’association Genre et Ville et Edith Maruéjouls, la mairie a commencé à étudier la distribution genrée des subventions publiques et l’usage différencié des équipements publics.

  • La budgétisation sensible au genre peine parfois à convaincre les décideurs

Au lieu de s’assurer de financer autant les activités de pratique essentiellement féminine et les activités de pratique essentiellement masculines, ne faudrait-il pas plutôt favoriser la mixité au sein de toutes les activités ? Pour Edith Maruéjouls, spécialiste de l’égalité dans l’espace public, travail sur les stéréotypes et rééquilibrage des budgets sont loin de s’exclure :

« C’est un faux débat. Il y a une hiérarchie de fait entre les usagers des équipements publics. Quand bien même les femmes souhaiteraient pratiquer une activité sportive sur des équipements publics, elles sont perçues comme étant moins légitimes à en négocier l’accès. Cette différence de valeur s’exprime aussi dans les écarts de subvention entre pratique féminine et pratique masculine d’un même sport. »

Se prononcer pour l’égalité entre les femmes et les hommes est devenu un incontournable des programmes politiques. Cependant, si aucun des principaux candidats à l’élection présidentielle ne fait l’impasse sur le sujet, la portée et le niveau de détail des propositions restent très variables selon les candidats.

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