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Le réseau social Mastodon, un « Twitter plus proche de l’esprit originel »

Plusieurs milliers d’internautes ont afflué sur le nouveau réseau social à la mode, souvent à la recherche d’une simplicité et d’une bonne humeur disparues.

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Publié le 04 avril 2017 à 18h12, modifié le 05 avril 2017 à 11h14

Temps de Lecture 6 min.

Le mastodonte, mascotte de Mastodon, suggère toute la place laissée aux messages, qui font 500 signes.

« J’ai été séduit par le pouet, les gif animés et les gens. » C’est la drôle de confidence de Guérin, l’un des nouveaux utilisateurs de Mastodon, réseau social proche de Twitter qui connaît un afflux de nouveaux venus, notamment francophones, depuis le début du mois d’avril.

Sur cette plate-forme de microblogging, pour ressusciter un terme tombé en désuétude, les utilisateurs postent des messages appelés des « pouets ». Ceux-ci font 500 signes au maximum contre 140 sur Twitter, et n’importe qui peut y répondre. Les habitués du réseau à l’oiseau bleu y retrouvent leurs habitudes, et pour cause : l’interface s’inspire de Tweetdeck, un client très populaire auprès des gros utilisateurs, permettant de gérer plusieurs fils en même temps. Surtout, l’affichage des messages se fait par ordre chronologique, sans publicité, message sponsorisé ou algorithme alambiqué faisant remonter certains tweets plutôt que d’autres – évolutions de Twitter extrêmement critiquées par ses anciens utilisateurs.

« C’est le focus sur les profits et le marketing qui a ruiné Twitter pour moi. Ça devient difficile de l’utiliser sans être constamment gêné par les marques, partis politiques et autres pubs », atteste par exemple Louvelune, déjà une centaine de pouets au compteur. « Je suis là pour avoir un réseau plus petit que Twitter et plus proche de l’esprit originel », corrobore Maxime, communicant.

Capture d’écran de l’interface utilisateur. En bleu, le bouton pour écrire un « toot », traduit par « pouet » en français.

Le profil des premiers utilisateurs est pour l’instant très cohérent : connecté, avide de nouveauté et vétéran du réseau social à l’oiseau bleu, omniprésent dans les esprits. Antoine, 23 ans et agent de voyage, s’est ainsi inscrit « parce que c’est classe d’être dans les pionniers et que ça ressemble au Twitter d’il y a quelques années, pour les nostalgiques de leur jeunesse ». « Je suis un early adopter, il est intéressant d’observer la genèse d’un réseau social, vive les logiciels libres, et [j’ai] la nostalgie du bon vieux Twitter », abonde Johan Friedli, journaliste au quotidien financier suisse Agefi. Et de souligner l’ambiance bon enfant de Mastodon : « Les trolls ne sont pas encore là. »

« Un joyeux bordel où tout le monde s’apostrophe »

Il est beaucoup trop tôt par parler de vague migratoire : à ce stade, l’intérêt pour Mastodon relève de la pure curiosité, essentiellement de la part d’aficionados des outils numériques. Nombre d’entre eux ont déjà testé Ello, Diaspora ou encore Peach, autant de plates-formes qui ont caressé l’espoir de se faire une petite place entre Facebook et Twitter, avant de retomber dans l’anonymat le plus complet.

« Je crains l’effet Ello », reconnaît Axel. Pourtant, l’ambiance bon enfant est perceptible, et rafraîchissante, bien aidée par le vocabulaire étrange de Mastodon, et de ses pouets – des toots, dans sa version anglaise. « Je vais manger, à toot », « toot toot les rageux », des débats pour savoir s’il fallait privilégier les toots ou les pouets, ou un aimable « je suis fan de mégalodons, je me suis trompé de site », qui ne dépareillerait pas dans un joyeux festival de la blagounette de camping. Guérin sourit (en tout cas il fait un smiley de sourire) :

« J’aime aussi Mastodon pour son effervescence liée à sa toute jeune expansion, j’aime la bonne ambiance qui y règne et j’y trouve la communauté plus agréable et plus civilisée, le tout dans un joyeux bordel où tout le monde s’apostrophe à tout va. »

Autre particularité : l’absence en apparence totale de modération, qui dans un monde pour l’instant très Bisounours, a surtout vu apparaître une flopée de faussaires en tous genres. On a vu un faux compte de François Fillon déclarer « je vais rendre l’argent », BFMTV et le politicien d’extrême droite Henry de Lesquen se disputer vertement sans que rien ne permette de savoir si un seul des deux était authentique, ou tout simplement de nombreux faux comptes de médias avides de petites plaisanteries.

Faute de compte certifié, des journalistes du Monde.fr ont dû se prendre en photo pour attester de l’authenticité du compte du journal.

« Si une instance ne te plaît pas, tu changes »

Au-delà de la dimension nostalgique, Mastodon est également très prisé de la communauté des militants du logiciel libre. Contrairement à Twitter, Facebook ou encore YouTube, le jeune réseau social n’appartient pas à une firme, mais a été développé sur un modèle ouvert. Chacun s’inscrit à l’instance de son choix – une sorte de nom de domaine à la façon de gmail.com et hotmail.fr pour les e-mails. Ils définissent le serveur auquel est rattaché l’utilisateur, et le flux de messages auquel il a accès par défaut – un onglet permet de suivre la totalité des pouets, excusez du peu. Les utilisateurs eux-mêmes peuvent créer et héberger leurs propres instances – il en existe une cinquantaine pour l’instant, publiques, semi-publiques ou privées.

Le « Fediverse », le réseau social de Mastodon, est composé d’une cinquantaine d’instances différentes, inégalement fréquentées.

L’intérêt de ce système ? Il est double. Il permet de multiplier les canaux de discussions, et des serveurs décalés ont vu le jour comme celui de la maison Targaryen (référence à la série Game of Thrones) ou de Witches Town (littéralement, « la ville des sorcières »). Surtout, en décentralisant les données de compte – identifiant, mot de passe, messages – il répond aux nombreux problèmes d’éthique et de sécurité liés à la centralisation des données sensibles sur les réseaux sociaux traditionnels, entre revente de ces données et risque de piratage.

Kevin salue ainsi un système « open source, géré par la communauté. Si une instance ne te plaît pas, tu changes, tu n’es pas soumis aux règles d’une entreprise privée. » Mais la force de Mastodon est aussi son défaut, et le fonctionnement des instances ne manque pas de désarçonner de nombreux nouveaux venus. Par défaut, la plupart s’inscrivent du reste sur le serveur principal, mastodon.social, qui sature et devient régulièrement inaccessible, pendant que les autres continuent de poueter à tout va. « 500 INTERNAL SERVOR ERROR » revenait souvent sur le .social, fort de près de 40 000 connectés contre 1 000 pour le second serveur le plus actif, .xyz. Mardi soir, les inscriptions étaient d’ailleurs suspendues sur l’instance principale.

« Si ça gonfle, ça ne va pas pouvoir durer »

Libriste, décentralisé, volontiers geek, Mastodon semble pour l’instant parfait pour sa communauté d’ultraconnectés amateurs d’échange et de calembours, mais peut-être pas pour le grand public. « C’est beaucoup trop compliqué pour que ça devienne mainstream. Notamment le système d’instance. 500 caractères c’est probablement trop long », juge ainsi Cassim.

Dessin d’un utilisateur de Mastodon.

Mastodon offre pourtant des outils que Twitter n’a jamais réussi à mettre en place de manière rapide et efficace, comme la possibilité de prévenir d’un sujet choquant dans son pouet (on y trouve en fait pour l’instant surtout des blagues), de glisser des images animées dans son image de profil, ou de rendre invisible un utilisateur. « Contrairement à Twitter, là le but est bien notre confort et nos intérêts, et ça se voit !, salue Otaxou. Pour le moment c’est aussi très sympa et convivial, même si je me doute que si ça gonfle, ça ne va pas pouvoir durer bien longtemps… »

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Mais l’alternative à Twitter, ses utilisateurs l’attendaient depuis trop longtemps pour ne pas espérer, impatients de retrouver un peu de ce sens de la rencontre qui devait caractériser Internet à ses débuts, et dont les amateurs de tchat sur IRC se souviennent. « Je suis venu voir par curiosité et je suis resté parce que j’ai craqué sur le côté chronophage et complètement public. J’aime beaucoup cette facilité d’entrer en contact avec tout le monde, de sortir un peu de cette bulle sociale qu’on a sur Facebook et l’autre réseau », salue Guérin.

Vers 13 heures, mardi 4 avril, l’instance. social ne fonctionnait déjà plus sous l’afflux de connexion. Mais parmi les messages postés juste avant, on pouvait encore lire tout l’optimisme des anciens pionniers de Twitter. « Le tweet c’est devenu trop mainstream, toot c’est l’avenir. » On se gardera d’être si affirmatif : le succès d’un réseau social se décide rarement sur ses premiers jours. Adpouette que pourra.

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