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Pourquoi il faut arrêter de parler de « fake news »

Le terme s’est répandu depuis quelques mois dans le vocabulaire des médias et le débat public. Mais il recouvre des réalités très différentes, et a déjà été récupéré.

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Publié le 31 janvier 2017 à 19h01, modifié le 31 janvier 2017 à 19h01

Temps de Lecture 6 min.

« Les démocrates californiens légalisent la prostitution infantine. »

« La France fait la chasse aux fake news avant l’élection présidentielle » ; « Les médias et Facebook montent au front contre les fake news » ; « Présidentielle et fake news : les autorités veulent rencontrer Facebook, Google »

Il n’est pas besoin de chercher très loin pour voir le terme de « fake news » mis à toutes les sauces. Mais paradoxalement, tout le monde n’en a pas la même définition, ce qui pose un problème important pour une tendance supposée majeure de ces derniers mois.

Un anglicisme trompeur

La notion de « fake news » pose d’abord un problème de traduction : à strictement parler, le terme anglais ne désigne pas un article faux, au sens d’inexact, mais plutôt un faux article, une publication qui se fait passer pour un article de presse sans en être un. La langue anglaise distingue ce qui est false (faux au sens d’erroné) de ce qui est fake (faux au sens d’une imitation).

La fake news telle qu’elle s’est développée durant la campagne américaine appartient au second registre, celui de la duperie. A travers les codes visuels, le ton et la présentation, nombre de sites ont cherché à se faire passer pour de vrais organes de presse, et ont abusé de la confiance des internautes, plus sensibles à des titres d’articles qu’à des noms de publications. Ainsi du célèbre canular du soutien du pape à Donald Trump, publié sur le faux site d’actualité WTOE 5 News (désormais inactif), et partagé plus d’un million de fois sur Facebook.

Comme l’expliquait déjà fin 2015 Donna Halper, ancienne journaliste et professeure de communication politique, « certaines personnes ne réalisent pas qu’elles lisent un faux site d’actualité, car la plupart [de ces plates-formes] font en sorte d’avoir l’air digne de confiance ; et c’est seulement si vous lisez l’avertissement, souvent placé tout en bas du site, que vous réalisez que c’est du faux, et non la réalité. » Ainsi du site américain Empire News, qui annonce sur une page cachée dans les mentions en bas de la page d’accueil qu’il « n’a pas d’autre visée que de divertir ».

Un mot fourre-tout

L’emploi du terme s’est toutefois rapidement élargi, et semble recouvrir aujourd’hui des réalités très différentes.

  • Le pastiche humoristique. (Le Gorafi en France, Nordpresse en Belgique, The Onion aux Etats-Unis, Al Manchar en Algérie, La Pravda au Canada…). Sur ces sites, volontairement et ouvertement parodiques, la volonté de désinformer est absente, même si par manque de vigilance ou de connaissance, il arrive qu’ils soient lus au premier degré. Ils s’inscrivent dans la lignée des journaux et revues satiriques. Si leur production peut parfois tomber juste, cela est rare et le plus souvent accidentel. Le 14 juillet 2015, The Onion publie ainsi un article parodique expliquant que « pour apaiser un Nétanyahou en colère après l’accord sur le nucléaire iranien, Obama lui fait parvenir des missiles balistiques ». Mais le lendemain, le très sérieux journal israélien Haaretz publiait un article révélant que la réalité avait rejoint la fiction. En France, le 30 septembre 2015, Le Figaro et Le Gorafi titraient tous les deux sur le fait que la proximité de Nadine Morano avec les thèses du Front national embarrassait ce dernier. La fake news satirique et le vrai article se rejoignent parfois.
  • L’appeau à clics. (Empire News, NBC.com.co aux Etats-Unis…). Ces sites prennent la forme générale d’un site d’actualité, mais s’en distinguent par plusieurs aspects. D’un point de vue technique, n’étant pas des organes de presse, ils ne sont tenus par aucune déontologie journalistique. D’un point de vue économique, leur modèle reposant entièrement sur l’audience, ils privilégient les sujets racoleurs (paranormal, théories du complot, vidéos chocs, insolite, etc.). Ils n’ont pas forcément de visée politique mais peuvent se focaliser sur une personnalité publique si celle-ci génère particulièrement des partages sur les réseaux sociaux. Ils sont emblématiques des fake news de l’année 2016. A l’image d’Empire News, qui multipliait ces derniers jours les sujets conspirationnistes sur des pseudo-tentatives d’assassinat de Trump avortées. L’auteur d’un de ces récents articles bidon a révélé qu’une fausse histoire très partagée pouvait rapporter 1 000 dollars (925 euros) de revenus publicitaires en ligne en une heure. Facebook a entre-temps exclu ces sites des programmes de rémunération de l’audience, et annoncé le développement d’outils pour limiter leur circulation.
  • La publication orientée. (Breitbart, Infowars, RT, Sputnik…). Leur but n’est pas de divertir, mais d’influencer le débat public en y distillant leurs thèses – souvent russophiles ou d’extrême droite. Cette fonction n’est pas nouvelle : depuis des décennies, une presse frontiste et civilisationniste existe déjà en France, avec des publications longtemps confidentielles comme Minute ou encore Rivarol, mais elle a pris une importance nouvelle ces dernières années. La particularité de ces médias est aujourd’hui d’offrir un mélange savamment dosé entre reprises de théories conspirationnistes – par exemple sur le prétendu scandale pédophile du PizzaGate, parti d’un message anonyme sur le forum 4chan – et des articles politiquement engagés, afin de s’attirer la confiance et le ralliement des internautes avides de contre-discours. La stratégie, rodée et efficace, consiste moins à diffuser des informations fausses qu’à décrédibiliser les médias traditionnels et les adversaires politiques, en instituant méfiance et relativisme à leur égard.
  • L’article de presse erroné. Par extension, la fake news s’applique également, par un abus de sens, aux articles qui sont authentiques mais erronés. Ainsi, le prestigieux The Atlantic n’hésitait pas fin 2015 à qualifier de « fake news » un article dans lequel le New York Times a écrit, à tort, que l’auteur de la tuerie de San Bernardino (Californie), en décembre 2015, avait publié des appels au djihad sur les réseaux sociaux. Plus bas dans l’article, The Atlantic parle de manière plus mesurée d’article « imprécis » (inacurrate).

Un terme déjà récupéré

La fake news se trouve ainsi appliquée aussi bien à de vrais articles erronés qu’à de faux articles devenus vrais, dans un flou sémantique généralisé. Il y a encore six mois, les fake news désignaient encore des articles bidons humoristiques ou racoleurs, fondés sur le modèle économique de Facebook, qui pouvaient duper des internautes méconnaissant les sites en question.

Le syntagme « fake news » s’est rapidement imposé pour qualifier toute production écrite susceptible d’être contredite, que ce soit sur des bases factuelles ou militantes. Il fait désormais partie de la petite boîte à outils du parfait théoricien du complot, qui y trouvera le terme parfait pour disqualifier la production de médias supposés menteurs et manipulateurs.

Aux Etats-Unis, Donald Trump l’assène régulièrement à l’adresse des médias critiques à son égard. Breitbart, le site populiste fondé par son stratège Stephen Bannon, le sert presque quotidiennement.

Il en va de même des sites liés à Moscou, comme Russia Today ou Sputnik. En France, les cercles d’extrême droite se sont approprié l’expression, utilisée par Marine Le Pen, dans une critique à Europe 1. Loin de son sens de départ – rédaction de sites rémunérés à l’audience sur les réseaux sociaux –, il sert désormais d’outil de guerre culturelle dans la rhétorique populiste.

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Contre un anglicisme au sens fluctuant et déjà récupéré par un discours militant, il faut distinguer de manière explicite les différents types de contenu du Web. Les amalgamer tous, c’est prendre le risque d’une simplification périlleuse.

La fake news n’est pas nouvelle – elle est le dernier avatar des bons vieux hoax – et employer le terme à tout va obscurcit le jugement au lieu d’éclairer le propos. Le faux a son vaste nuancier, et pour quiconque s’intéresse aux faits, ces différences sont précieuses.

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