C’est une première en France. Jeudi 23 et vendredi 24 mars, le tribunal de grande instance d’Alès (Gard) accueille le procès d’un abattoir, celui du Vigan, un paisible village cévenol marqué au fer rouge par un scandale de maltraitance animale.
Trois ouvriers et la communauté de communes qui gère l’établissement sont poursuivis pour des actes de cruauté et des mauvais traitements sur des animaux, révélés par des vidéos de l’association L214 en février 2016. Des images qui avaient suscité l’émoi et l’indignation collective, et ébranlé l’ensemble de la filière de la viande. Au point de déboucher sur la création d’une commission d’enquête parlementaire et sur le vote par l’Assemblée nationale d’une proposition de loi « relative au respect de l’animal en abattoir ».
Les vidéos, tournées entre juin 2015 et février 2016, montraient des moutons violemment jetés contre des enclos, des employés riant en électrocutant ou en brûlant des cochons avec une pince à électronarcose – destinée à les étourdir –, des animaux saignés toujours conscients, ou encore un porcelet se détachant à plusieurs reprises de la chaîne d’abattage.
Quelques heures après la diffusion de ces images, partagées plusieurs millions de fois sur les réseaux sociaux, le procureur de la République d’Alès annonçait l’ouverture d’une enquête préliminaire à la suite de la plainte de l’association L214 ; l’abattoir était fermé à titre conservatoire, et le personnel suspendu. Le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, « condamn[ait] avec la plus grande fermeté ces pratiques intolérables ».
Pourtant, la structure, l’une des plus petites de France, était spécialisée dans la vente directe et certifiée bio. On y traitait chaque année 300 tonnes de viande, provenant d’animaux d’une petite centaine d’éleveurs des Causses et des Cévennes qui travaillent en circuit court. Ses locaux avaient été modernisés en 2010 et en 2014. L’établissement a partiellement rouvert en mars 2016, après avoir licencié un salarié, refusé de renouveler le contrat d’un autre, et investi dans du matériel.
Trente et une infractions
Un an plus tard, quatre prévenus vont se succéder à la barre lors de l’audience correctionnelle. Le procureur de la République a retenu à leur encontre vingt-neuf contraventions et deux délits, soit trente et une infractions au total.
Le salarié licencié, Marc S., est renvoyé pour les délits de « sévices graves et actes de cruauté envers des animaux ». Il risque jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende, ainsi que l’interdiction d’exercer son métier pendant cinq ans et de détenir un animal. Deux autres employés, Gilles E. et Nicolas G., qui officient toujours, sont jugés pour des « mauvais traitements infligés à des animaux », des contraventions de quatrième classe passibles d’une amende de 750 euros maximum chacune.
La communauté de communes du pays viganais, personne morale gestionnaire de l’abattoir, devra quant à elle répondre de huit infractions aux règles d’abattage, pour mise à mort d’animaux « sans précaution pour leur éviter de souffrir », « saignée tardive » et « établissement ne disposant pas d’installations et d’équipements conformes ». Elle encourt huit amendes de 3 750 euros maximum chacune.
Dans ce procès qui promet d’être très médiatisé – un dispositif exceptionnel a été mis en place afin d’accueillir un public nombreux –, neuf associations se sont constituées partie civile (L214, la Fondation Brigitte Bardot, 30 millions d’amis ou encore la SPA), ainsi que l’interprofession de la viande (Interbev) et un éleveur du Gard, Antoine Pellissier-Tanon de Lapierre.
« Réalité cruelle »
« On attend de ce procès qu’il établisse les responsabilités des uns et des autres, même s’il manque, parmi les prévenus, les services vétérinaires qui n’ont pas détecté un matériel défectueux et inadapté », expose Brigitte Gothière, porte-parole de L214.
Pour autant, la militante n’appelle pas à une peine de prison pour Marc S. « Il y a des circonstances atténuantes à ses gestes, assure-t-elle. On lui donne le mauvais rôle, celui de mener à la mort, avec empathie, des animaux qui résistent. Notre société lui fait subir une responsabilité écrasante. »
C’est pourquoi l’audience, estime-t-elle, dépasse le simple procès des salariés. « Elle permettra de remettre en lumière la réalité cruelle des abattoirs et la réglementation qui y est souvent optionnelle », poursuit Brigitte Gothière, alors que son association a épinglé huit établissements pour maltraitance animale depuis octobre 2015.
Une orientation qui inquiète Me Yvon Goutal. L’avocat de la communauté de communes du Pays viganais craint « que l’on fasse le procès de l’abattage plutôt que celui de faits précis commis au sein de l’abattoir ». « Ce dossier vient en premier, mais ce n’est pas le règne de l’horreur. Je crains des amalgames, surtout lorsque les images, choquantes, ajoutent une charge émotionnelle, explique-t-il. Il y a eu des erreurs mais elles ont été corrigées et l’abattoir est dans une logique d’amélioration. »
« Abattoir éthique et paysan »
Aujourd’hui, l’établissement essaie surtout de se maintenir à flot. Fin décembre 2016, la communauté de communes a décidé d’arrêter les frais, après avoir effacé une ardoise de près de 300 000 euros. Un groupement d’une cinquantaine d’éleveurs de la région, d’associations et de consommateurs, constitués en société coopérative d’intérêt collectif, doit reprendre l’abattoir en mai, sous la forme d’une location avec promesse de vente au bout de vingt ans.
« On veut en faire un abattoir éthique et paysan. Nous allons pratiquer l’abattage de nos propres bêtes, maîtriser le processus de A à Z, pour être sûrs que cette étape du circuit de distribution soit faite dans le respect de l’animal, explique Stéphane Thiry, éleveur de bovins en bio à Bez et Esparon (Gard), qui préside l’association pour la promotion de l’abattoir du Vigan. Une structure de proximité est nécessaire pour conserver une production locale et promouvoir notre noble tradition d’agropastoralisme. »
L’établissement, actuellement accompagné par une éthologue pour « ajuster les méthodes de travail et les installations », se verra associer une station expérimentale de traitement des déchets. « Donner la mort à des animaux ne peut pas être joyeux mais peut se faire dans de bonnes conditions, assure M. Thiry. On attend le procès, qui va être très difficile pour les salariés, puis on repart de zéro. »
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