Les quartiers pauvres aux marges de Tripoli, la grande ville du nord du Liban, reviennent à la vie. Entre 2011 et 2014, une vingtaine de rounds d’affrontements fratricides y ont fait rage, sur fond de conflit syrien. Désormais, dans l’entrelacs de ruelles de Bab Al-Tebbaneh, des marchands de jus frais pressent des oranges derrière des comptoirs en bois, des mécaniciens aux mains noires de cambouis réparent des voitures. Et, un peu plus haut, sur la colline qui le surplombe, dans le quartier de Jabal Mohsen, des hommes passent le temps aux tables de petits cafés, des cars scolaires déposent les enfants de retour de l’école.
Cependant, le long de la rue de Syrie, l’artère commerçante au nom opportun qui sépare ces deux quartiers, le linge qui sèche aux balcons cache mal les balafres laissées par les balles et les obus. Partout, l’armée libanaise est présente, avec ses blindés et ses points de contrôle. Car ces quartiers ont vibré au rythme du conflit syrien : d’un côté, Bab Al-Tebbaneh, opposé au président Bachar Al-Assad, sunnite et abritant un noyau djihadiste. De l’autre, Jabal Mohsen, pro-régime syrien, alaouite et contrôlé par une famille affiliée aux Assad.
Misère sociale et stigmatisation
Le quotidien entremêlé de ces banlieues en convalescence est mis en lumière par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans un webdocumentaire, Syria Street : des images animées réalisées par le photographe Brandon Tauszik de mères de famille, de commerçants, et même d’un ancien combattant. « On voulait que les gens puissent exprimer la complexité de leur situation, loin des clichés, et qu’ils reprennent la parole », explique Fabrizio Carboni, chef de délégation au Liban du CICR. Les habitants parlent de la peur marquée au fer rouge dans les esprits, de leur isolement, de leur volonté de vivre dignement.
Dans ces deux quartiers, parmi les plus pauvres du Liban, le traumatisme est lié à la violence mais aussi à la misère sociale et à la stigmatisation. « Personne ne s’intéresse à nous en temps de paix. Le projet du CICR montre qu’il y a une vie après [la guerre], que la rue de Syrie est aussi un trait d’union, et que nous aspirons à vivre comme tout le monde », commente Hassan Saleh, un étudiant de 23 ans originaire de Jabal Mohsen.
Les dernières violences remontent à l’automne 2014 : l’armée mate alors impitoyablement des combattants islamistes radicaux à Bab Al-Tebbaneh. Mais les autres périodes d’affrontement se sont jouées entre combattants des deux quartiers, dont l’hostilité mutuelle remonte à la guerre civile (1975-1990). Les heurts, qui ont fait plus de 200 morts, ont été alimentés par le conflit voisin. « Un climat quasi insurrectionnel régnait en 2011 dans la région. La guerre en Syrie a réveillé les peurs et les espoirs, les habitants de Bab Al-Tebbaneh estimant leur communauté sous-représentée, ceux de Jabal Mohsen se sentant en danger en cas de changement [de pouvoir] en Syrie », relève Fabrizio Carboni.
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