Elle est drôle, mais pas seulement. La vidéo de ce professeur américain, Robert Kelly, perturbé par sa progéniture en pleine interview à la BBC, doit aussi son succès planétaire au phénomène d’identification qu’elle déclenche. Le bureau à la maison, ses bonheurs et vicissitudes… En même temps qu’un bébé sur roulettes et sa grande sœur surexcitée, c’est le quotidien des indépendants et des salariés en télétravail qui déboulait sur les réseaux sociaux.
Sans pouvoir les compter, on sait de ces derniers qu’ils sont toujours plus nombreux, en France. Sans parler des bataillons de ceux qui échappent à toute démarche formelle. Mais depuis deux ou trois ans, le mouvement s’accélère, c’est une certitude. Le télétravail se diffuse bien au-delà des grandes entreprises du secteur tertiaire qui en furent pionnières, jusqu’aux PME, jusqu’à la fonction publique, dans toutes les régions.
Travailler régulièrement hors des locaux de leur employeur : deux salariés sur trois en rêvent (enquête Randstad 2016). Ils ont les outils numériques pour emporter l’entreprise avec eux, s’en servent dans le train, les salles d’attente, alors pourquoi pas chez eux, la journée durant ? Les bienheureux qui ont signé un avenant de ce type à leur contrat de travail ne le regrettent pas – le taux de satisfaction à un an dépasse les 90 %.
« Skyper en slip avec Metallica… »
Ils se pavanent, sur Twitter, ces privilégiés du #télétravail, exhibant chats endormis et tasses de thé fumant. « Bosser en jogging et chaussons fourrés, ma musique, pas de coups de fil ni de collègues relous », ou encore « mettre son réveil à 8 h 15 pour commencer à 8 h 30 », « skyper en slip avec Metallica… » Même les syndicats ont dû renoncer à contrer cet éloignement de leurs troupes. Trop impopulaire.
Il n’y a qu’à écouter Marie Prunier, énergique quadragénaire, responsable marketing chez Orange – les télétravailleurs y sont passés de 700 en 2010 à 15 000 en 2016, réguliers ou occasionnels. Son mercredi de bureau à la maison ? Une « bouffée d’oxygène », une « renaissance ». Elle habite à 46 km d’Arcueil (Val-de-Marne) où elle officie, se lève à 4 h 45, passe 1 h 15 en voiture, deux fois par jour, et cela ne va pas en s’améliorant. Pour voir sa fille de 7 ans, ne lui reste qu’une heure par jour.
« On s’habitue à tout, mais cette histoire de route, c’est devenu une vraie pression pour moi, dit-elle. Le mercredi permet de tenir, de supporter les queues de poisson, les insultes du vendredi. Se lever à 7 heures, avec l’impression d’avoir fait une grasse matinée… C’est surnaturel ! Ouvrir les volets de la maison, qui revit. Aller chercher le pain et voir la boulangère – d’habitude je l’appelle pour qu’elle me laisse deux baguettes chez l’épicier d’à côté qui ferme tard. Puis écouter dans mon salon, au son du micro, des visioconférences sans déranger personne, avec un petit café… »
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