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Tchinguiz Aïtmatov, écrivain originaire du Kirghizstan

Conseiller de Mikhaïl Gorbatchev, il soutint sa politique de perestroïka avant de partir en Europe. Marqué par le stalinisme, il n'a eu de cesse de réhabiliter la mémoire de ses victimes.

Par Marie Jégo et Patrick Kéchichian

Publié le 13 juin 2008 à 16h00, modifié le 13 juin 2008 à 16h00

Temps de Lecture 4 min.

Tchinguiz Aïtmatov était à la Kirghizie, cette petite République de l'Asie centrale ex-soviétique frontalière de la Chine, ce que Vaclav Havel est à la République tchèque. Sans avoir jamais été un dissident du régime - ses livres étaient publiés et diffusés sans problème -, le romancier était devenu, dans les années 1980, le porte-parole d'une génération de Soviétiques qui rêvait d'ouverture. Il est mort mardi 10 juin à Nuremberg, en Allemagne, à l'âge de 79 ans, des suites d'une grave inflammation pulmonaire. Victime d'un malaise en Russie alors qu'il participait au tournage de l'adaptation de l'un de ses romans, il était hospitalisé depuis plusieurs semaines.

Né le 12 décembre 1928 à Cheker, au nord du Kirghizstan, alors République soviétique, Tchinguiz Aïtmatov a 10 ans lorsque son père, Torokul, haut fonctionnaire soviétique, est fusillé comme "ennemi du peuple", à l'âge de 35 ans. Durant la guerre, il travaille dans les champs et, en tant que secrétaire du soviet local, il doit, à 14 ans, transmettre aux villageois les "lettres noires" annonçant la mort sur le front d'un proche. Après la guerre, il entreprend des études vétérinaires. Il commence à écrire au début des années 1950 et est admis, en 1956, à l'Institut Gorki de Moscou. On commence alors à publier, en revues, des traductions en russe de ses premiers textes, des nouvelles.

En 1959, la traduction française de Djamilia, par Aragon (et Dimitrieva), aux Editeurs français réunis - maison appartenant au PCF -, va fortement contribuer à asseoir la réputation mondiale d'Aïtmatov. Cette renommée le mettra à l'abri des critiques - il était accusé de pacifisme - formulées en URSS contre lui. A propos de ce récit, Aragon parle dans sa préface enthousiaste de "la plus belle histoire d'amour du monde".

Littéraire, la lecture du poète communiste est aussi nourrie d'un certain optimisme idéologique... Il peut ainsi écrire : "L'étrange réussite de Djamilia, c'est que tout ce que nous apprenons d'un pays inconnu, de la vie des hommes et des femmes encore étroitement liés aux traditions patriarcales des nomades, et déjà sans heurts passés à l'époque soviétique, à ses institutions, nous l'apprenons de l'intérieur, par des êtres à qui tout ceci est naturel, ne demande aucune explication, si bien que le récit y gagne cette extraordinaire aisance de développement qui manque si fort aux littératures modernes..." "C'est grâce à Aragon que j'ai commencé à croire en moi", avoue Aïtmatov.

En 1963, le prix Lénine lui est attribué pour son recueil Nouvelles des montagnes et des steppes. Ecrit à la même époque, Le Premier Maître (1964, éd. EFR) fera l'objet, comme plusieurs autres romans, d'une adaptation au cinéma par Andreï Mikhalkov-Kontchalovski. Jusqu'à cette époque, il écrit en kirghiz avant de se traduire lui-même en russe. A partir d'Adieu Goulsary (1968), il écrit, "pour des considérations tactiques",expliquera-t-il au Monde en février 1983, directement en français. Dans Une journée plus longue qu'un siècle (éd. Temps actuels, 1983), il confronte la vieille civilisation kirghize et la vie des steppes aux robots de science-fiction. Au travers de cette parabole, c'est le citoyen soviétique qu'il rappelle à ses devoirs d'individu.

Quand Mikhaïl Gorbatchev arrive au pouvoir, en 1985, et lance sa perestroïka (refonte de la société), il fait de Tchinguiz Aïtmatov l'un de ses conseillers. Lorsque la bataille fait rage au sein du parti entre les tenants de l'ouverture et les partisans de la continuité, l'écrivain choisit son camp. Virulent critique du stalinisme, il publie, en mai 1987 dans les Izvestia, un réquisitoire musclé contre le Petit Père des peuples, s'érigeant contre le mythe du vainqueur de la grande guerre patriotique (1941-1945). "Qui peut démontrer que le pays aurait perdu la guerre si le chef suprême n'avait pas été Staline ?", interrogeait-il alors.

A partir de 1990, il réside en Europe et devient ambassadeur de la Russie au Luxembourg, puis représentant du Kirghizstan en Belgique. "Ma génération ne pouvait pas envisager, même en théorie, les bouleversements qui se sont produits. Cela ne concerne pas seulement les peuples de l'ancienne Union soviétique, mais l'ensemble du monde. Au départ, nous envisagions la perestroïka comme un processus de réformes prévisible, mais l'histoire l'a transformée en mouvement spontané."

Pour lui, pas de vraie refonte de la société sans une "perestroïka de la mémoire". Le stalinisme l'avait marqué à jamais. Un quart de siècle plus tard, alors que l'URSS n'est plus et que la Kirghizie est devenue indépendante, l'écrivain fait ériger un mémorial aux victimes des répressions staliniennes près de Bichkek, la capitale kirghize. Il lui donne le nom d'Ata Beyit ("tombe du père"). Les corps des victimes des purges staliniennes - dont celui de son père - y ont été inhumés. C'est là que Tchinguiz Aïtmatov sera mis en terre, samedi 14 juin, décrété jour de deuil national par le président kirghiz Kourmanbek Bakiev.

Le hasard a voulu que la mort de Tchinguiz Aïtmatov coïncide avec la sortie en France de son dernier roman, Le Léopard des neiges (traduit du russe par Pierre Frugier et Charlotte Yelnik, éd. Le Temps des cerises, 302 p., 20 €).

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