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Immigration et terrorisme : Marine Le Pen multiplie les intox

La candidate du Front national attaque la dernière ligne droite de sa campagne en multipliant les contre-vérités. Démonstration.

Par  et

Publié le 18 avril 2017 à 17h29, modifié le 19 avril 2017 à 10h17

Temps de Lecture 7 min.

Marine Le Pen le 17 avril au Zénith de Paris.

C’est son thème de prédilection. A moins d’une semaine du premier tour de la présidentielle, dimanche 23 avril, Marine Le Pen multiplie les sorties sur l’immigration, le terrorisme et la sécurité. Mais l’argumentaire de la candidate du Front national (FN) s’accompagne de nombreuses affirmations fausses, pour certaines déjà démenties de longue date. Inventaire.

Les Français n’ont pas « moins de droits » que les étrangers

CE QU’ELLE A DIT

En meeting à Paris lundi 17 avril, Marine Le Pen a déclaré que « les Français ont parfois moins de droits en France que des étrangers, même clandestins ».

POURQUOI C’EST FAUX

Marine Le Pen n’a pas précisé, dans sa déclaration, à quels « droits » elle faisait référence. Lorsqu’on balaie le champ des droits auxquels peuvent prétendre les étrangers en situation régulière ou irrégulière et les Français, on s’aperçoit pourtant que ces derniers ne sont pas moins bien traités, comme nous l’avons déjà documenté dans ce dossier sur les droits des migrants ou cet article sur une précédente campagne de communication du FN :

Les frères Kouachi auraient quand même eu la nationalité française avec ses propositions

CE QU’ELLE A DIT

Invitée de RTL mardi 18 avril, Marine Le Pen a affirmé ceci :

« Avec les mesures que je veux mettre en œuvre, MM. Kouachi et Coulibaly, par exemple, n’auraient pas obtenu la nationalité française car lorsqu’ils ont eu 18 ans, ils avaient un casier judiciaire long comme un jour sans pain. Donc ils n’auraient pas obtenu la nationalité et parce qu’ils sont des délinquants, ils auraient été renvoyés de France. »

POURQUOI C’EST FAUX

Saïd et Chérif Kouachi, les deux frères auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, sont nés français à Paris de parents de parents français, comme le relevait en 2015 Libération. Marine Le Pen est donc dans le faux lorsqu’elle évoque des casiers judiciaires chargés qui, si elle avait été présidente, les auraient empêchés de devenir Français et auraient permis leur expulsion.

Par ailleurs, les casiers judiciaires des deux frères étaient vides avant leur majorité. Saïd Kouachi, bien que connu pour des liens avec la filière des Buttes-Chaumont, à Paris, avait un casier judiciaire vierge, d’après les informations du Monde. Le casier de son frère, Chérif Kouachi, loin d’être « long comme un jour sans pain », n’était pas vide au moment des attentats : on y retrouve un outrage à dépositaire de l’ordre public alors qu’il rendait une visite en prison et la diffusion d’images à caractère pédopornographique. Mais il était majeur à l’époque des faits.

Quant à Amedy Coulibaly, le preneur d’otage de l’Hyper Cacher, son casier judiciaire avant les attentats était en effet conséquent, avec des faits allant du vol à main armée aux violences volontaires, en passant par le trafic de stupéfiants. Cependant, il a toujours été Français. Son père, né en 1937 au Mali, était Français.

En effet, à cette époque, le Mali était encore une colonie française. Sa mère, également d’origine malienne, a, elle, acquis la nationalité française par naturalisation. Amedy Coulibaly est donc né Français, par le droit du sang. Il n’a donc pas obtenu la nationalité à ses 18 ans, comme le prétend la candidate du FN.

Ces précisions montrent que les solutions invoquées par Marine Le Pen étaient donc loin de s’appliquer dans ces trois cas.

Expulser les « fichés S » étrangers n’a (toujours) guère de sens

CE QU’ELLE A DIT

Toujours sur RTL, Marine Le Pen a déclaré :

« Je compte expulser immédiatement l’intégralité des fichés S étrangers pour lien avec le djihadisme car il n’y a aucune raison pour que nous conservions sur le territoire des gens qui représentent un danger quelconque pour la sécurité des Français. »

POURQUOI C’EST INAPPLICABLE

La loi permet tout à fait d’expulser un étranger qui représente « une menace grave ou très grave pour l’ordre public ». La décision peut être prise par le préfet ou, dans certains cas, le ministre de l’intérieur. Sauf « urgence absolue », la procédure demande de convoquer la personne concernée devant une commission avant de prendre une décision. Convocation qui doit être notifiée au moins quinze jours à l’avance.

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Ce qui pose problème, c’est que Marine Le Pen laisse entendre qu’il serait possible d’expulser de manière systématique des étrangers soupçonnés d’appartenir de près ou de loin à la mouvance djihadiste. Or la décision d’expulsion ne peut se faire qu’en fonction d’une appréciation individuelle de la menace. Il n’est pas nécessaire que la personne visée ait été condamnée, mais le danger doit être jugé « actuel » et « proportionnel » à la décision d’éloignement.

Le cas des « fichés S » regroupe des situations bien trop vagues et diverses pour légitimer des expulsions systématiques. La fiche « S » est un outil de surveillance, pas d’appréciation du niveau de dangerosité d’un individu.

D’ailleurs, comme l’a relevé Libé Désintox, Marine Le Pen se trompe également lorsqu’elle affirme que le tueur de Nice était fiché S. Mohamed Lahouaiej Bouhlel ne se trouvait en effet pas dans ce cas, contrairement à ce qu’a déclaré la candidate lundi.

L’école gratuite pour les enfants n’est pas un « privilège » français

CE QU’ELLE A DIT

Dans un entretien, le 17 avril, sur le site Boulevard Voltaire, créé par Robert Ménard, Marine Le Pen a été interrogée sur l’une de ses propositions : « Vous souhaitez remettre en cause l’accès à l’enseignement scolaire gratuit pour les enfants de ressortissants étrangers. Or c’est une mesure qui, vous le savez, sera très difficile à mettre en application à cause des traités internationaux qu’a signés la France et qu’a ratifiés la France ? »

Voici d’abord sa réponse sur le plan juridique :

« Oui et non parce que dans la révision constitutionnelle que je ferai par les Français, j’imposerai l’autorité de la loi nouvelle sur les traités européens et le droit dérivé antérieur. (…) Il n’y a pas de démocratie sans souveraineté, il n’y a pas de souveraineté si nos lois, lorsque nous les votons, en réalité sont soumises à la censure de technocrates européens. »

Voici également les arguments invoqués ensuite pour défendre sa mesure :

« Je dis simplement que lorsqu’on arrive dans un pays on peut se voir appliquer un délai de carence (…) que je fixe à deux ans pour pouvoir accéder à l’ensemble des services publics gratuits qui coûtent cher quand même aux Français faut en être conscient. (…) Cela veut juste dire que l’école ne sera pas gratuite pendant deux ans quand des étrangers viendront dans notre pays. Cela existe dans d’autres pays. Je rappelle que la gratuité c’est aussi assez exceptionnel, il y a très peu de pays qui mettent en place cette gratuité totale, que ce soit pour les soins ou que ce soit pour l’école. »

POURQUOI C’EST FAUX

Marine Le Pen laisse donc entendre que l’accès gratuit à la scolarisation pour tous les enfants serait une forme de privilège accordé en France. En réalité, il s’agit d’un droit affirmé par toutes les conventions internationales et pas seulement européennes :

On peut également ajouter le code de l’éducation (article L.131-1) qui, en France, rappelle que « l’instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre 6 ans et 16 ans », ou même le préambule de la Constitution de 1946, repris dans celui de celle de 1958 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. »

Sortir de tous ces textes supposerait donc de modifier la Constitution française, mais aussi de ne plus respecter la Déclaration des droits de l’homme, la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.

Mise à jour, le 19 avril à 10 heures : ajout de précisions sur l’obtention de la nationalité française des frères Kouachi.

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