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Notre consommation alimentaire épuise les eaux souterraines

L’utilisation excessive des aquifères pour la production agricole met en péril les approvisionnements à la fois en nourriture et en eau.

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Publié le 29 mars 2017 à 19h36, modifié le 30 mars 2017 à 08h04

Temps de Lecture 4 min.

Des vignes destinées à produire des raisins de table sont arrosées au goutte-à-goutte, à Porterville, en Californie, en août 2016.

Entre manger et boire, il faudra bientôt choisir. Nous utilisons toujours plus de produits alimentaires qui épuisent les eaux souterraines non renouvelables. Un phénomène mondial qui met en péril les approvisionnements à la fois en nourriture et en eau et pourrait faire monter en flèche le prix des denrées de base, alerte une étude de quatre chercheurs internationaux, publiée dans la revue Nature jeudi 30 mars. En identifiant pour la première fois les pays, les cultures et les relations commerciales concernés, ils espèrent améliorer la durabilité de la production alimentaire et la gestion de la ressource.

Plusieurs scientifiques avaient déjà quantifié et cartographié l’empreinte en eau du commerce international, pour comprendre quels biens de consommation utilisent cette ressource précieuse et dans quelles quantités. L’agriculture en engloutit ainsi 90 %, en raison de l’irrigation intensive des céréales, de la production de viande et de produits laitiers. Mais ce travail n’avait jamais été réalisé, au niveau mondial, pour chaque type de culture ni, surtout, en isolant les seules eaux souterraines au lieu d’englober également celles de pluie et de surface (lacs et rivières).

Or, les aquifères, ces vastes réservoirs naturels de stockage d’eau souterraine, sont une ressource clé. Elles abritent la majeure partie de l’eau douce liquide de la planète. Actuellement, 43 % de l’irrigation provient de ces réserves. Le problème est qu’elles se renouvellent très lentement, en 1 200 ans en moyenne contre 15 jours pour les rivières. Leur préservation est donc cruciale.

« Nous avons examiné tous les aquifères du monde, en ne regardant que la partie qui s’épuise, celle qui n’est pas renouvelée naturellement par les recharges hivernales, explique Carole Dalin, chercheuse à l’institut pour les ressources durables à l’University College de Londres et première auteure de l’étude. Cela donne des informations plus fines sur la durabilité des biens de consommation alimentaire mondiaux. On connaît maintenant les liens commerciaux qui dépendent d’aquifères non renouvelables, les pays producteurs et ceux consommateurs. »

Pakistan, Etats-Unis et Inde, principaux exportateurs

Pour réaliser ces travaux, les scientifiques ont utilisé un modèle hydrologique capable de calculer, pour vingt-six classes de cultures différentes, quels volumes d’eau souterraine non renouvelable ont été utilisés, en 2000 et en 2010. Ils les ont combinés à des données sur le commerce international (celles de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) pour obtenir quelle quantité de cette eau la plus fragile est consommée par chaque pays pour produire 360 biens différents (céréales, farine, pain, huile, viande, lait, etc.), les exporter ou les importer.

Résultats : ces volumes d’eau souterraine non rechargée utilisés par l’agriculture ont bondi de 22 % en dix ans, pour atteindre 20 % de l’irrigation mondiale. Ils représentent 292 km3, soit peu ou prou la consommation des Français en eau potable pendant cinquante ans ! L’essentiel de cette utilisation est fait dans une poignée de pays, l’Inde, l’Iran, le Pakistan, la Chine, les Etats-Unis, l’Arabie saoudite ou encore le Mexique, soit les principaux greniers à blé et centres urbains de la planète. Les cultures les plus gourmandes en eau souterraine sont le blé (22 %), le riz (17 %), les cultures sucrières (7 %), le coton (7 %) et le maïs (5 %), destinées à la consommation intérieure mais aussi largement à l’export.

Les trois quarts de ces produits sont exportés par trois pays : le Pakistan (surtout du riz, à destination de l’Iran, de l’Arabie saoudite ou du Bangladesh), les Etats-Unis (coton, blé, maïs et soja, vers la Chine, le Japon et le Mexique) et l’Inde (riz et coton, surtout vers la Chine). Cinq pays du Moyen-Orient (Qatar, Barheïn, etc.) font partie du top 10 des Etats qui importent le plus, ramené à leur population, de cette eau virtuelle non durable.

« On ne connaît pas ce problème de production en Europe, à l’exception de l’Espagne et de l’Italie, dans des quantités bien moindres, assure Carole Dalin. La France, par exemple, exporte beaucoup de produits agricoles, mais qui ne tirent pas sur les réserves souterraines. Ils sont soit peu irrigués, soit arrosés grâce à l’eau de pluie et aux rivières. »

« L’Europe a externalisé 40 % de son empreinte eau, qui repose sur des réserves surexploitées à l’autre bout du monde, justifie Arjen Y. Hoekstra, professeur en gestion de l’eau à l’université de Twente, aux Pays-Bas, qui n’a pas participé à l’étude. Nous nous apercevons tout juste que l’eau est une ressource utilisée de manière non durable dans de nombreux endroits pour produire de la nourriture pour le commerce international, mettant ainsi en danger l’économie et l’approvisionnement alimentaire. »

Manque d’eau potable et baisse de la production agricole

Les risques de cette surexploitation sont en effet nombreux et pèsent à la fois sur les pays producteurs et importateurs, préviennent les chercheurs. Cette consommation non durable, qui doit encore augmenter dans les prochaines années, pourrait entraîner un manque d’eau potable et une baisse de la production agricole, débouchant sur des pertes économiques pour les agriculteurs mais aussi sur la hausse des prix alimentaires. L’épuisement des réserves d’eau locales risque également de mettre en péril des populations lors de situations d’urgence telles que les sécheresses, les tremblements de terre ou les incendies.

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Les scientifiques recommandent alors, du côté de la production, d’augmenter l’efficacité de l’utilisation de l’eau dans les cultures (systèmes modernes d’irrigation par goutte à goutte par exemple) et d’utiliser des variétés moins gourmandes. Du côté de la consommation, ils enjoignent de réduire le gaspillage alimentaire (30 % des aliments sont perdus) et d’adapter les régimes alimentaires pour diminuer le volume d’eau par calorie (en réduisant en particulier la consommation de viande de bœuf).

« Les gens ont raison de faire leurs courses en pensant à l’impact des produits sur l’environnement mais il ne s’agit pas seulement de la viande contre les légumes, le bio ou l’équitable, note Carole Dalin. Où et comment les produits sont cultivés est une question cruciale, alors que les aliments de base comme le riz et le pain peuvent avoir un impact négatif sur les approvisionnements en eau mondiale. »

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