Rue Saint-Denis, à Paris, l’enseigne bleue DVD Shop est encore là pour quelques jours, au numéro 109. Mais le rideau noir de l’entrée a été retiré, les étalages sont vides, les cabines de projection ont disparu. Le vieux sex-shop a fait faillite. Son tenancier a été expulsé en novembre 2017. Pour le remplacer, le propriétaire des lieux a posé une exigence : plus le moindre commerce érotique. « Ce sera une crêperie », annonce le nouveau locataire, qui attend à la porte l’arrivée d’un fournisseur.
Rue du Pont-Neuf, à cinq minutes de là, la vendeuse remet quelques objets en place dans son « love store » à l’enseigne Passage du désir. Un couple de touristes vient de partir, une jeune fille choisit une huile de massage. « Je suis d’abord venue avec des copines, sans oser acheter, raconte Murielle. On rigolait devant chaque objet. Maintenant, j’ai pris de l’assurance. Ici, je suis sûre de la qualité, et je peux être conseillée. Et puis l’endroit est clair, sympa, ce n’est pas honteux d’y entrer. » Près de la caisse, le patron de la chaîne se réjouit : pour la Saint-Valentin, ses magasins ont réalisé leur meilleure journée de l’année. Il prévoit déjà d’en ouvrir de nouveaux à Paris et à Nice.
Six cents mètres à pied suffisent pour passer d’une planète à une autre. Le vieux monde des sex-shops, en plein déclin. Celui des « love stores », dont l’essor est tout aussi spectaculaire. Un grand basculement entre deux types de boutiques qui peuvent paraître très proches, mais que tout oppose, ou presque : leurs localisations, bien souvent, leurs clientèles et le cœur même de l’activité. « D’un côté, le commerce de la frustration sexuelle, de l’autre, celui de l’épanouissement du couple », résume, dans son magasin de la rue du Pont-Neuf, Patrick Pruvot, le fondateur de Passage du désir.
« Capitalisme du stupre »
Le premier sex-shop du monde a été ouvert à la fin de 1962, à Flensbourg, dans le nord de l’Allemagne, par une ancienne championne d’aviation, Beate Uhse. « Articles pour l’hygiène du couple », était-il sobrement inscrit sur la devanture. Les sex-shops se sont ensuite multipliés à compter de 1969, fameuse « année érotique ». Ils « poussent comme des champignons plus ou moins vénéneux », relate Le Monde en 1970. Rien qu’à Paris, le nombre de points de vente passe de dix-huit, en 1969, à cinquante-cinq, en 1972. Et ce n’est que le début de ce « capitalisme du stupre », dénoncé alors par La Croix…
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