« Quinze heures par jour, le corps en laisse/Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? » D’une sono juchée sur le toit d’une voiture aux couleurs de la CGT, la voix du grand Jacques Brel monte dans le ciel bleu d’Albi. Ils sont quelques dizaines, militants de la centrale de Montreuil mais aussi de Solidaires ou de la FSU, à attendre Emmanuel Macron, drapeaux à la main et autocollants sur les tee-shirts, à l’entrée de l’usine VOA Verrerie, une ancienne coopérative ouvrière.
Pour le dernier déplacement de sa campagne, jeudi 4 mai, l’ancien ministre de l’économie a choisi la patrie de Jean Jaurès, figure tutélaire de la gauche et père du socialisme français. Un symbole qui a du mal à passer pour les délégués syndicaux chauffés sous le soleil.
« Abolition de la loi travail ! », « On vous sortira par ordonnance ! », « Candidat des banquiers ! », « Du pognon pour ceux qui vous font vivre ! »… Dès son arrivée, le candidat d’En marche ! est pris à partie.
Comme à son habitude, il ne se démonte pas et va à la rencontre de ses opposants. Entouré de ses officiers de sécurité, il tente d’engager le dialogue, d’expliquer sa réforme du code du travail, qui doit donner la primauté aux accords d’entreprise ou de branche sur la loi, « parce qu’il y a 10 % de chômage en France et que ça ne marche pas ».
Les moues sont sceptiques. « C’est le pays de Jaurès ici ! Vous êtes venu le récupérer », l’accuse un délégué CGT. « Je ne récupère rien, je suis pour le dialogue social », répond l’intéressé, sans convaincre.
« Cynisme d’entreprises »
Favori des sondages, qui lui donnent entre 58 % et 62 % des voix au second tour, Emmanuel Macron sait qu’il a partie gagnée et que, sauf accident, il deviendra, dimanche, le huitième président de la Ve République.
La prestation de Marine Le Pen au débat télévisé de mercredi l’a conforté dans cette certitude. « On y est ! », reconnaît un proche. Mais la victoire n’est pas tout. L’ancien ministre sait qu’il doit l’emporter avec un score élevé s’il veut réussir l’autre moitié de son hold-up : obtenir la majorité absolue à l’Assemblée nationale, le 18 juin, et pouvoir ainsi « transformer » le pays comme il l’entend, sans avoir les mains liées par d’autres formations politiques.
Pour enclencher cette dynamique, le chantre du « et de droite et de gauche » a besoin des voix de Jean-Luc Mélenchon, des partisans de sa France insoumise. Mais ceux-là résistent à ses avances, rechignent à glisser un bulletin à son nom dans l’urne.
Alors, comme Paris vaut bien une messe, M. Macron sort le grand jeu. « Je veux parler de la condition ouvrière », explique-t-il aux journalistes qui l’interrogent sur le sens de sa venue dans le Tarn, à seulement quelques kilomètres de Carmaux, cité minière théâtre d’une grande grève à la fin du XIXe siècle et devenue un lieu de passage obligé pour tous les socialistes en campagne – Benoît Hamon y avait tenu son dernier discours de campagne, le 21 avril.
« Je ne veux pas d’une société qui construirait sa réussite dans l’injustice (…) parce que ces sociétés explosent », poursuit le candidat, quelques heures plus tard, lors d’un meeting en plein air à Albi, son dernier avant le second tour.
Soulignant la « vitalité démocratique » apportée par La France insoumise durant la campagne, il fustige « ce cynisme d’entreprises » qui pensent que la performance ne peut se faire qu’au détriment des salariés. « Dégager des profits, c’est aussi avoir une responsabilité sociale et environnementale », explique l’ancien banquier d’affaires, ajoutant : « J’assume très clairement de ne pas choisir entre l’entreprise et le salarié. »
Partisan de la « cogestion »
Lors de sa visite à la verrerie d’Albi, Emmanuel Macron s’était dit également partisan de la « cogestion », un mot qui fait hurler le Medef mais qui est considéré comme un marqueur de gauche par les syndicats.
« Le modèle auquel je crois, d’un dialogue social extrêmement vivace, est un modèle qui va jusqu’à la cogestion, et c’est ce que je souhaite dans les prochaines années (…) développer », a-t-il expliqué. Lors de l’élaboration de son programme, le fondateur d’En marche ! avait pourtant écarté l’idée d’imposer que la moitié des sièges des conseils de surveillance des entreprises soit réservée aux salariés, comme c’est le cas en Allemagne. Interrogé pour savoir si cette mesure pourrait être tout de même votée une fois M. Macron élu président de la République, son entourage n’a pas apporté de réponse.
Déterminé mais visiblement fatigué par ses huit mois de campagne et quarante-quatre meetings, l’ancien ministre de l’économie a enfin rappelé qu’il comptait bien tenir son engagement à renouveler la classe politique, « dans la composition du gouvernement » comme « dans les investitures aux élections législatives ».
« J’entends ceux qui voudraient enjamber le 7 mai », a-t-il mis en garde, en référence aux dirigeants du parti Les Républicains, qui tentent de mobiliser leurs troupes en leur expliquant qu’une victoire du camp conservateur aux législatives, et donc une cohabitation, est possible. « Non, nous renouvellerons jusqu’au bout, nous recomposerons jusqu’au bout, nous tiendrons notre promesse », leur a répondu par avance l’ancien protégé de François Hollande. Pas de quartier.
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