« Je suis vigilante comme je ne l’ai jamais été, je redoute les étrangers que je croise, je dors mal… Mais si mon quotidien reste perturbé, j’ai commencé à prendre du recul », raconte Eliane L.-K. A l’aube de ses 74 ans, cette femme élégante et dynamique se livre en toute franchise sur les circonstances qui l’ont conduite à participer à un essai clinique sur le trouble de stress post-traumatique (TSPT) d’une ampleur inédite en France. Elle est l’une des 120 volontaires déjà recrutées de l’étude Paris MEM (Paris mémoire vive), qui évalue une thérapie innovante, associant un médicament – le propranolol – et une psychothérapie.
Le principe de cette approche, mise au point par le psychologue canadien Alain Brunet, repose sur la théorie de la « reconsolidation mnésique » : à chaque fois que l’on se remémore un souvenir, il redevient instable et doit se reconsolider pour passer dans la mémoire à long terme. Ce processus peut être bloqué par le propranolol. Cet antihypertenseur a en effet la propriété de diminuer l’intensité émotionnelle des souvenirs, élément essentiel du stress post-traumatique. D’où l’idée d’administrer cette molécule avant des séances de psychothérapie où le sujet est réexposé à la situation traumatisante.
Protocole national
Lancé il y a tout juste un an en région francilienne, après les attentats du 13 novembre 2015, le protocole est devenu national. Il inclut des victimes de stress post-traumatique dans le cadre d’attaques terroristes, mais pas seulement. C’est le cas d’Eliane L.-K., dont les symptômes sont apparus après une agression, le 3 avril 2016. Avec une précision millimétrique, elle décrit le début de la scène. En sortant de chez elle, la septuagénaire remarque une voiture qui bloque l’allée. Elle voit son conducteur en descendre, se rapprocher, lui arracher son sac, lever la main pour la frapper… Puis c’est le trou noir.
Elle a été retrouvée sur le trottoir complètement désorientée. « Amnésie psychogène », ont diagnostiqué les médecins. Elle a retrouvé ses esprits, mais la mémoire de l’agression elle-même et du jour suivant reste effacée. Côté physique, des blessures à la main ont nécessité une opération. Son agresseur, un jeune homme récidiviste en sursis, a été condamné à un an de prison ferme en comparution immédiate.
Une incarcération qui n’a pas suffi à faire disparaître l’angoisse de la victime. Elle s’est mise à fuir les manifestations publiques auxquelles elle se rendait auparavant. Est devenue incapable d’aller à son cinéma de quartier, par peur de rentrer chez elle. A fait installer de multiples dispositifs de sécurité chez elle. « Quand j’ai entendu parler du traitement canadien, je me suis dit que mon cas n’avait aucune commune mesure avec celui des victimes des attentats, mais le psychiatre m’a expliqué que le stress post-traumatique peut survenir qu’on soit la seule victime ou parmi des milliers », poursuit-elle.
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