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Douze propositions d’un député pour moraliser la vie publique

Interdiction des emplois familiaux, suppression de la réserve parlementaire... René Dosière, député PS de l’Aisne, veut pousser le gouvernement à adopter une loi ambitieuse.

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Publié le 21 mai 2017 à 05h28, modifié le 21 mai 2017 à 16h51

Temps de Lecture 9 min.

Pousser le gouvernement à adopter une loi de moralisation de la vie publique, ambitieuse et efficace, ainsi que le nouveau chef de l’Etat, Emmanuel Macron, s’y est engagé lors de la campagne pour l’élection présidentielle, en réponse au choc créé par l’affaire Fillon. Voilà l’objectif du député apparenté Parti socialiste (PS) de l’Aisne René Dosière, inlassable pourfendeur du mauvais usage des deniers publics, depuis son premier mandat en 1988, et partisan d’une plus grande transparence en politique, de la part des élus comme des partis.

Lundi 22 mai, quatre jours après la désignation du gouvernement d’Edouard Philippe, l’élu doit dévoiler ses propositions pour réformer la vie politique française, et mettre fin aux abus financiers et aux rentes de situation, comme aux vieilles pratiques de conflits d’intérêts au Parlement. Des propositions dévoilées en exclusivité par Le Journal du dimanche (JDD) daté du 21 mai, dont Le Monde a également pu prendre connaissance.

« Rétablir une relation de confiance entre les élus et les citoyens »

M. Dosière formule un paquet de mesures destinées à répondre aux principaux problèmes soulevés par les affaires qui empoisonnent depuis des mois la politique française, et en particulier, au-delà de l’affaire Fillon, les affaires de financement illégal présumé des partis et des campagnes électorales, dont celles du Front national, depuis 2011.

« Emmanuel Macron a fait des propositions à chaud, durant la campagne présidentielle, a déclaré René Dosière au Monde. Moi, je reprends globalement, dans ce projet, toutes les mesures sur lesquelles j’ai travaillé pendant des années. Je les veux inspirantes. Il s’agit d’une contribution parlementaire à la mise en œuvre de l’engagement présidentiel. »

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En préambule de sa proposition de loi, le député écrit :

« L’importance accordée durant la dernière campagne présidentielle aux dérives financières de deux des principaux candidats témoigne de la sensibilité extrême de l’opinion publique vis-à-vis du rôle de l’argent public dans la vie politique (…). Des progrès significatifs ont été réalisés durant le quinquennat du président François Hollande (…). Pour autant, on ne peut se satisfaire de la situation actuelle. »

L’annonce, par le nouveau président de la République, d’une grande loi de moralisation de la vie politique représente, selon le député de gauche, « l’opportunité de rétablir, sur des bases nouvelles, une relation de confiance entre les élus et les citoyens ». « Le cœur de mon projet, précise-t-il, c’est l’encadrement des partis politiques, dont le nombre a explosé depuis vingt-cinq ans. »

Concrètement, ses mesures tiennent en quatre textes et douze points, qui seront tous déposés lundi : trois propositions de loi, dont une constitutionnelle, et une proposition de résolution. M. Dosière a transmis son projet, dès vendredi 19 mai, au nouveau garde des sceaux, François Bayrou, qui avait fait de l’adoption d’une loi sur la moralisation l’une des conditions de son ralliement à M. Macron, en février.

1. Encadrement du financement public des partis

C’est une mesure très attendue par de nombreux partisans de la régulation, mais à laquelle les pouvoirs exécutif et législatif n’ont pas encore osé s’attaquer, freinés par le droit constitutionnel. L’article 4 de la Constitution de 1958 dit, en effet, des partis et des groupements politiques qu’ils « se forment et exercent leur activité librement ».

Or, devant l’explosion du nombre de partis politiques et de micropartis, observée depuis vingt-cinq ans (451 en 2016, contre 250 en 2000 et 20 en 1990), et les dérives qui ont suivi en matière de financement public, René Dosière propose de voter une définition stricte, aujourd’hui manquante, de ces partis. Ainsi, la proposition de loi ordinaire qu’il présente vise à conditionner le financement public aux partis et groupements satisfaisant trois critères : « avoir un objet politique, rassembler des militants et soutenir des candidats aux élections locales et nationales ». Exit les micropartis et les « pseudo-partis » spécialement créés pour les scrutins législatifs. Pour prétendre au statut de parti, et être financé comme tel, il faudrait notamment présenter, en métropole, « 100 candidats ayant obtenu chacun 2,5 % des suffrages exprimés ».

Pour éviter des détournements de fonds, le texte interdit aux partis de consentir des prêts à ses candidats. Une référence explicite aux affaires de financement illégal présumé de partis sur lesquelles enquête la justice, dont ces fameux prêts consentis par Jeanne, le microparti de Marine Le Pen, aux candidats du Front national aux législatives de 2012.

De même, tout prêt d’une personne physique ou morale (à l’exception des établissements de crédit) aux partis serait interdit, afin d’empêcher que soit contournée la législation sur le plafonnement des dons. Enfin, la liste des personnes physiques, dont les dons sont supérieurs à 2 500 euros, serait publiée et les pouvoirs de contrôle de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) accrus.

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La certification des comptes des partis politiques dont les ressources dépassent 1 million d’euros serait assurée par la Cour des comptes. Tout refus de répondre à une demande d’informations de la Commission nationale sera sanctionné d’une peine d’emprisonnement d’un an et de 15 000 euros d’amende (75 000 euros quand il s’agit d’une personne morale).

2. Obligation pour tout candidat d’avoir un casier judiciaire vierge et d’obtenir un quitus fiscal pour tout élu

René Dosière formule des propositions de loi organique et ordinaire anticorruption, qui reprennent les dispositions des textes votés le 1er février 2017, à l’unanimité, par l’Assemblée nationale, sans que le processus législatif ait pu aller à son terme. Elles visent à interdire d’élection nationale ou locale toute personne condamnée pour « crime, manquement à la probité [concussion, corruption, trafic d’influence, prise illégale d’intérêt, favoritisme, détournement de biens publics] et recel ou blanchiment du produit de ces délits, faux en écriture publique, fraude électorale et fraude fiscale ». De plus, les élus (parlementaires et titulaires de fonctions exécutives locales) qui ne produiraient pas de bordereau de situation fiscale précisant qu’ils ont dûment payé leurs impôts, dans le mois suivant leur élection, seraient déclarés démissionnaires d’office.

3. Limitation du cumul des mandats dans le temps

« La durée parfois excessive dans l’exercice des mandats constitue un obstacle au renouvellement et à la diversité du personnel politique, estime le député apparenté socialiste. Elle entraîne la constitution de “fiefs” locaux qui favorisent les pratiques clientélistes. » Il propose donc de limiter à trois le nombre des mandats parlementaires successifs, « une durée suffisamment longue pour que les intéressés exercent leurs fonctions tant dans la majorité que dans l’opposition », estime-t-il. Concernant les élus locaux, la proposition limite à deux le nombre de fonctions exécutives exercées successivement dans une même collectivité.

Si le cumul des mandats était limité à trois d’affilée…

Limiter le cumul des mandats dans le temps, c’était au départ une proposition de François Hollande… reprise par Emmanuel Macron dans son programme.

Au jeu de la politique-fiction, ce sont 204 députés qui n’auraient pas pu se représenter si l’engagement d’Emmanuel Macron de limiter le nombre de mandats identiques à trois dans le temps était appliqué immédiatement. Ces élus, en place depuis au moins 2002, sont majoritairement encartés Les Républicains (52 %) et très massivement des hommes (87 %).

Non-cumul dans le temps : un tiers des député-e-s concerné-e-s, principalement masculins et LR

Profil des député-e-s concerné-e-s par la promesse d'Emmanuel Macron sur le non-cumul dans le temps (plus de trois mandats parlementaires successifs)
Source : Ministère de l'intérieur

Avec la loi actuelle, ce sont 130 candidats à leur succession qui vont devoir choisir entre leurs mandats exécutifs de député et leur mandat local ; l’évolution proposée par Emmanuel Macron durcirait donc considérablement les conditions pour être réélu à l’Assemblée nationale.

L’engagement du candidat Macron ne se concrétisera pas à court terme, puisqu’il faudrait probablement en passer par une loi organique, type de loi définissant l’application de la Constitution et respectant une procédure plus stricte qu’une loi ordinaire.

Le rapporteur du projet de loi sur le cumul des mandats adopté en 2014, Christophe Borgel, estimait, en 2013, qu’« une limitation à trois du nombre de mandats parlementaires vaudrait pour l’ensemble du territoire national et, à moins de se limiter à des mandats consécutifs, elle serait définitive, en contradiction avec deux principes constitutionnels : la liberté de se présenter à une élection et la liberté, pour l’électeur, de choisir son représentant ».

Le député socialiste ajoutait, « à titre personnel », que « la durée de trois mandats parlementaires successifs – quinze ans – ne correspond pas à la durée d’une vie politique. Si une telle limitation avait été adoptée il y a quelques décennies, Jacques Chirac et François Mitterrand auraient mis fin dès 1973 à leur carrière au Palais-Bourbon ».

La limitation des mandats dans le temps existe pourtant pour une fonction politique, celle de président de la République, qu’il n’est plus possible d’occuper pendant plus de deux mandats successifs depuis la révision constitutionnelle de 2008.

4. Moralisation du cumul des indemnités

A l’heure actuelle, les indemnités cumulées d’un élu sont plafonnées à 1,5 fois l’indemnité parlementaire de base, soit à 8 400 euros. René Dosière suggère d’abaisser ce plafond au niveau de l’indemnité parlementaire, soit à 5 600 euros. Les parlementaires qui continueraient à siéger dans les conseils départementaux ou régionaux ne percevraient aucune indemnité locale. S’ils siègent dans des conseils d’administration et de surveillance d’établissement autorisés, ils ne recevront aucune rémunération.

5. Encadrement des fonctions de conseil pour un parlementaire

L’affaire Fillon – qui a mis au jour la création par l’ex-premier ministre d’une société privée de conseil, 2F Conseil, quelques jours avant de redevenir député, en 2012 – a mis en lumière le risque de conflits d’intérêts entre un mandat public d’intérêt général et les intérêts privés. Aujourd’hui, un parlementaire peut continuer à exercer des activités de conseil, à condition que celles-ci aient débuté avant l’élection. René Dosière propose que ce ne soit plus possible sauf si ces activités étaient exercées dans le cadre d’une profession soumise à un statut réglementé, comme celle d’avocats.

6. Suppression de la « réserve parlementaire »

La mesure proposée par le député est radicale. René Dosière se prononce pour la suppression de la « réserve parlementaire », cette pratique qui consiste, pour les parlementaires, à « attribuer à des associations et à des collectivités des subventions prélevées sur les budgets ministériels ».

7. La transparence imposée au président de la République

René Dosière dépose une proposition de loi organique pour imposer aux candidats à la présidence de la République de fournir une déclaration d’intérêts et d’activités les concernant ainsi que leur conjoint. La déclaration de situation patrimoniale, qui est elle déjà prévue par les textes, se voit, elle, étendue au conjoint.

S’agissant du président élu, la déclaration de situation patrimoniale qu’il doit fournir à la fin de son mandat (ou du deuxième mandat, en cas de réélection) ferait l’objet d’une appréciation par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Actuellement cette déclaration est publiée au Journal officiel mais ne fait l’objet d’aucune appréciation.

8. Une moindre rémunération pour les anciens présidents

Dans le paquet de mesures, figure une proposition de loi constitutionnelle pour mettre fin à la présence de droit (et à vie) des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel, dont la justification est controversée. Le député propose aussi de fixer leur rémunération d’ancien président à 75 % de celle du président en exercice, la dotation d’ancien président datant de 1955 étant supprimée. Une telle réforme reviendrait à baisser la rémunération globale de 40 % par rapport à la situation actuelle.

9. Interdiction des emplois familiaux

La proposition de loi présentée par M. Dosière laisse le soin aux parlementaires de « définir les conditions de recrutement, de rémunération et d’exercice des fonctions de collaborateurs parlementaires, par le biais d’une négociation sociale ». Mais elle interdit tout emploi familial lié à l’un des membres de l’assemblée concernée. Une mesure très attendue par l’opinion publique, après l’émoi créé par l’affaire Fillon sur les emplois fictifs présumés dont aurait bénéficié son épouse Penelope Fillon, entre 1986 et 2013, et deux de leurs enfants. La même interdiction de recrutement familial est étendue aux cabinets et groupes politiques des collectivités territoriales.

10. « Des ministres à temps plein »

Alors que François Hollande a imposé à ses ministres le non-cumul de leurs mandats avec « une fonction exécutive locale », le député de gauche dépose une proposition de loi constitutionnelle pour étendre cette interdiction à tout « mandat électoral ».

11. Renforcement de la déontologie à l’Assemblée nationale

René Dosière propose d’inscrire dans le règlement de l’Assemblée nationale que « les fonctions de déontologue sont exercées à plein-temps ». Les pouvoirs du déontologue seraient dans le même temps renforcés, notamment en matière de contrôle de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) et des indemnités de fonction complémentaires attribuées à certaines autorités de l’Assemblée nationale.

Personnage clé du Parlement, garant des règles et de l’éthique, le déontologue pourrait, par exemple, consulter le compte bancaire dédié à l’usage de l’IRFM, « sans que le secret bancaire puisse lui être opposé ». S’il constatait « une utilisation inadaptée », « le montant des sommes dépensées serait retenu sur l’indemnité du parlementaire fautif par décision du Bureau, après audition de l’intéressé ».

Ainsi, dans le respect de l’indépendance de l’Assemblée nationale, serait garantie une utilisation de l’IRFM conforme à son objet, estime l’élu.

Les dons et cadeaux supérieurs à 150 euros, ainsi que les voyages à l’initiative de tiers, qui doivent aujourd’hui être simplement signalés au déontologue, seraient rendus publics, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

12. Instauration d’une « responsabilité financière des gestionnaires publics »

La proposition de loi reprend les dispositions du projet de loi « portant réforme des juridictions financières », adopté en septembre 2010 par la commission des lois de l’Assemblée nationale mais resté inabouti. Celles-ci rendent passibles de la Cour des comptes les membres du gouvernement et les titulaires de fonctions exécutives locales ainsi que les membres de leurs cabinets « qui bénéficient aujourd’hui d’un régime d’irresponsabilité ». De ce fait, la Cour de discipline budgétaire et financière serait supprimée. En cas d’engagement d’une dépense en dehors des règles, une amende financière s’appliquerait, dont le montant maximal pourrait atteindre, selon le degré de gravité, entre la moitié et la totalité de la rémunération annuelle des personnes concernées.

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