Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Finance solidaire : un écosystème vertueux en plein essor, souvent ignoré

Les Grands Prix de la finance solidaire, décernés le 2 novembre par « Le Monde » et Finansol, ont récompensé des structures à fort impact social ou environnemental.

Par 

Publié le 21 octobre 2015 à 23h36, modifié le 26 mai 2016 à 17h29

Temps de Lecture 6 min.

Organisée par Le Monde et l’observatoire Finansol, la sixième édition des Grands Prix de la ­finance solidaire s’est déroulée le 2 novembre au siège du quotidien. L’événement, qui récompense des structures à fort impact social ou environnemental ayant bénéficié des ressources de cette épargne, bénéficie du soutien de la Fondation Crédit coopératif, de France Active, de la Carac et d’Amundi.

Créés en 2009, ces Grands Prix mettent en lumière un écosystème vertueux, souvent ignoré du grand public car peu médiatisé, mais qui « pèse » de plus en plus lourd. Selon l’association Finansol, plus d’un million d’épargnants ont déjà souscrit un produit de ce type. Fin 2014, l’encours de l’épargne solidaire a atteint 6,836 milliards d’euros, en hausse de 13,6 % sur un an. « Un montant important, mais qu’il faut relativiser : il ne représente que 0,16 % de l’épargne financière des ménages français », commente Frédéric Tiberghien, président de Finansol.

Cette association estime possible d’atteindre 1 %. Pour y parvenir, elle milite de longue date pour la création de nouveaux produits d’épargne solidaire. Elle vient d’ailleurs d’obtenir un premier succès avec les contrats vie-génération, ces assurances-vie qui procurent un avantage fiscal en cas de succession, à condition d’investir à hauteur de 33 % dans des PME ou dans l’immobilier locatif social.

« Si les assureurs se mobilisaient au profit de l’économie sociale et solidaire, l’effet de levier serait puissant »

A partir du début 2016, ces contrats pourront aussi investir dans les entreprises solidaires. « Ces produits ne visent que les gros patrimoines, mais il s’agit d’un premier pas dans la bonne direction. Si les assureurs se mobilisaient au profit de l’économie sociale et solidaire (ESS), l’effet de levier serait puissant », commente Sophie des Mazery, directrice de Finansol.

Pour le moment, seuls une poignée d’entre eux proposent des contrats d’assurance-vie solidaires au grand public. Et ceux-ci sont rarement mis en avant dans les réseaux. Dommage, car ce produit d’épargne, avec ses 1 522 milliards d’euros d’encours, reste le placement préféré des Français. De même, rendre solidaire le Livret de développement durable (LDD), le cousin du Livret A, aurait un effet démultiplicateur puisque 25 millions de Français en possèdent un. Le secrétariat d’Etat à l’ESS réfléchit à une autre solution : obliger les banques à proposer à leurs clients un produit d’épargne solidaire, sous la forme d’un support d’investissement ou d’un produit de partage.

Des fonds qui ont fait leurs preuves

A court terme, le succès de la finance solidaire va donc continuer à reposer sur des produits qui ont fait leurs preuves : les fonds « 90/10 ». Ils sont appelés ainsi car ils consacrent jusqu’à 10 % de leurs actifs au financement de structures de l’ESS : associations, coopératives, entreprises solidaires… Le solde est investi de façon classique, en actions et obligations, souvent au travers de fonds ISR, c’est-à-dire de produits dont la gestion respecte les principes du développement durable. Bien sûr, il existe d’autres façons d’investir de façon solidaire (livret de partage, participation dans le capital d’une entreprise solidaire…), mais les fonds 90/10 captent l’essentiel des flux d’épargne qui alimentent l’ESS. En 2014, leurs encours de 4,933 milliards d’euros représentaient 72,2 % du total de l’épargne solidaire.

A l’origine commercialisés aux guichets des banques, ils sont aujourd’hui majoritairement distribués à travers l’épargne salariale, puisque, depuis le 1er janvier 2010, les entreprises doivent proposer à leurs salariés au moins un fonds 90/10.

Comment cet argent est-il utilisé ? Les gestionnaires de ces fonds (Amundi, Mirova, BNP Paribas, Crédit coopératif…) font généralement preuve de prudence : ils confient la gestion de la poche solidaire en grande partie à des spécialistes comme Habitat et humanisme, Entreprendre pour humaniser la dépendance (EHD), la SIFA (France Active), Terre de liens, La Nef ou SNL-Prologues. « Faire appel à ces financeurs solidaires présente un double intérêt : ces structures ont démontré leur solidité, et elles possèdent des équipes capables de sélectionner les projets à forte valeur ajoutée sur le plan social ou environnemental, ce que les banquiers classiques ne savent pas faire », explique Mme des Mazery.

Au premier rang des bénéficiaires, on trouve des structures spécialisées dans « l’économie de la réparation » : réinsertion de personnes exclues du marché du travail, aide aux familles en situation de mal-logement ou aux personnes âgées dépendantes. Traditionnellement, elles sont implantées dans quelques secteurs-clés : recyclage des déchets, logement très social, maraîchage bio, entretien des espaces verts…

« Pas peur de la concurrence »

Depuis une dizaine années, l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs sociaux ouvre de nouveaux horizons. « Souvent diplômés des meilleures écoles, ces jeunes entrepreneurs ont intégré les contraintes de l’économie de marché. Ne comptant pas sur des subventions publiques pour se développer, ils attaquent de nouveaux marchés et n’ont pas peur de la concurrence », explique Jean-Marc Borello, fondateur du Groupe SOS, qui emploie 13 000 personnes.

Une évolution qui devrait s’accélérer grâce à la loi Hamon. A partir du 1er janvier 2016, le label solidaire, qui permet de bénéficier des subsides de la finance solidaire, sera accordé aux entreprises commerciales dont l’activité présente une valeur ajoutée sociale ou environnementale. « Cela va agrandir considérablement le vivier des entreprises solidaires », se réjouit André Dupon, président du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves). Une opinion partagée par ­Sophie des Mazery : « La finance solidaire va répondre à la volonté de l’ESS de sortir de l’ère de la dépense sociale pour entrer dans celle de l’investissement social. »

Les filiales de gestion des banques prennent davantage de risques et ne se reposent plus uniquement sur les financeurs solidaires

Longtemps frileuses, les banques s’adaptent. Depuis un an, les agences BNP Paribas poussent enfin la commercialisation d’un fonds 90/10 auprès de leur clientèle. Avec succès, puisque BNP Paribas Social Business France a collecté 40 millions d’euros. En amont aussi, les lignes bougent. Les filiales de gestion des banques prennent davantage de risques et ne se reposent plus uniquement sur les financeurs solidaires.

Plus rémunérateur

Anticipant l’impact de la loi Hamon, Natixis solidaire, la poche solidaire des fonds 90/10 de Mirova (Natixis), mobilise de 10 % à 20 % de son encours (125 millions d’euros) en faveur de l’innovation sociale. « Financer des entreprises commerciales à vocation sociale est plus rémunérateur et permet de mieux diversifier les risques, explique Emmanuel Gautier, responsable de la gestion solidaire chez Mirova. A moyen terme, notre poche solidaire vise une rentabilité de 2 % à 3 % par an. » Mirova investit notamment dans La Ruche qui dit oui !, qui met en relation producteurs de denrées alimentaires locaux et consommateurs, et dans Relais, une société qui fabrique un isolant thermique à partir de vêtements recyclés.

Chez Amundi (Crédit agricole), l’objectif de rentabilité est un peu moins am­bitieux. Finance et solidarité, la poche solidaire des fonds 90/10 maison, vise 1 % par an. Elle consacre 40 % de ses actifs (une centaine de millions d’euros) à des entreprises innovantes, dont la moitié sous forme de prise de participation au capital. Parmi ses derniers paris, Phénix, une plate-forme numérique qui met en relation les grandes surfaces et les ­associations à la recherche d’invendus.

De plus en plus, la stratégie des poids lourds de la finance solidaire s’apparen­te donc à du capital-développement. Une évolution à rapprocher de l’émergence des spécialistes du capital-risque solidaire comme Phitrust, Comptoir de l’innovation (Groupe SOS) ou Esfin-Ides (Crédit coopératif). « Il n’y a pas suffisamment d’acteurs de taille significative dans l’ESS. Pour changer d’échelle, il faut à la fois de l’argent public, de l’argent privé et l’argent de la finance solidaire », conclut Jean-Guy Henckel, fondateur des Jardins de Cocagne. Inédite, la convergence d’intérêts qui se dessine pourrait permettre le développement à grande échelle d’une économie qui ne soit pas fondée uniquement sur la recherche du profit.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.