Stanislas Dehaene dirige l’unité Inserm-CEA de neuro-imagerie cognitive à Saclay (Essonne) et il est professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France. Auteur notamment de plusieurs livres sur la lecture et les maths, il a dirigé la publication de l’ouvrage collectif Apprendre à lire. Des sciences cognitives à la salle de classe (Odile Jacob, 2011).
Vous appelez depuis des années à une mobilisation générale afin que les données des sciences cognitives soient mises au service de l’école. Où en est-on aujourd’hui ?
Je ne dispose pas d’un état des lieux précis, mais je constate une prise de conscience croissante des contributions des sciences cognitives à l’éducation, et de la nécessité d’une approche expérimentale et rigoureuse dans ce domaine. L’idée d’une éducation fondée sur des preuves fait son chemin. Aujourd’hui, personne ne voudrait d’une médecine qui revienne à l’arbitraire, qui repose sur l’intuition… De même, dans l’enseignement, personne ne devrait pouvoir imposer une stratégie pédagogique aux enfants sans avoir au moins un début de preuve de son efficacité. Par exemple, plusieurs études émettent des doutes sur l’intérêt des tablettes à l’école, il est donc fondamental d’expérimenter avant de généraliser ces dispositifs.
De même qu’un médecin continue de se former toute sa vie, la formation continue des enseignants est essentielle, et doit se faire à leur initiative. Beaucoup de contenus sur la neuroéducation sont désormais accessibles, notamment sur Internet, et la demande des professionnels est énorme. Ainsi, les séminaires et les cours organisés au Collège de France avec le ministère de l’éducation ont eu un grand succès, et leurs contenus sont toujours très consultés. Je crois que c’est surtout par la formation des enseignants que les données des sciences cognitives se diffuseront dans les pratiques. Car ce que nos recherches peuvent apporter, ce sont avant tout des idées pédagogiques, sans forcément nécessiter de changer les programmes.
Un autre signal positif est l’existence d’initiatives comme e-FRAN (Espaces de formation, de recherche et d’animation numérique), qui, dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir, a permis de sélectionner une dizaine de projets innovants avec des technologies numériques.
Il reste tout de même des points noirs, dans l’enseignement de la lecture notamment…
Sur le terrain, il y a des progrès. Les enseignants sont mieux informés sur les méthodes de lecture et leurs performances. Un consensus scientifique existe sur l’importance initiale de l’enseignement systématique et structuré des correspondances entre les lettres et les sons, suivi d’un effort de plusieurs années qui automatise et développe la compréhension des textes et le plaisir de la lecture. On est cependant encore très loin de l’optimalité. La méthode globale n’est plus pratiquée, mais beaucoup de classes l’utilisent encore où sont enseignées des méthodes mixtes, avec des erreurs manifestes. Sur le sujet des manuels de lecture, rien ne bouge. Sous prétexte de liberté pédagogique, le ministère de l’éducation ne s’autorise pas à évaluer les manuels qui lui sont soumis. C’est stupéfiant, c’est comme s’il n’y avait aucune recommandation des autorités sur les médicaments ! D’autant que des recherches récentes suggèrent même qu’on pourrait être plus ambitieux, et commencer l’apprentissage de la lecture dès la maternelle.
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