La Documenta 14 a ouvert le 8 avril à Athènes et à Kassel, le 10 juin, puisque, pour la première fois, la manifestation quinquennale née en 1955 se dédouble entre Grèce et pays de Hesse. Ainsi en a décidé le directeur artistique de la cession, Adam Szymczyk. Pourquoi Athènes ? Pour célébrer la cité de Socrate ; mais surtout pour se déclarer solidaire d’un pays soumis aux exigences financières de l’Europe en général et de l’Allemagne en particulier. Que ces éditions jumelles répondent à des convictions politiques, il serait en effet difficile de l’ignorer.
Leur programme, intitulé « Parlement des corps », se déclare « contre l’individualisation des corps, mais aussi contre leur transformation en une masse, contre la transformation du public en une cible commerciale. » Il propose « l’activisme culturel, l’invention de nouveaux affects, la création d’alliances synthétiques entre différentes luttes mondiales », inspiré « par l’auto-organisation micro-politique, les pratiques collectives, la pédagogie radicale et les expérimentations artistiques ». L’intention contestatrice et révolutionnaire ne fait donc aucun doute. Il en était déjà ainsi de la célèbre Documenta 5, en 1972, celle de Beuys et Kienholz, et de la plupart de celles qui ont suivi. A Kassel, la critique du système est une tradition. Les artistes stars du marché occidental sont absents et les galeries priées de se faire discrètes, plus discrètes qu’à la Biennale de Venise – soulagement.
Parthénon des livres
Le budget global annoncé s’élève néanmoins à près de 40 millions d’euros, venus pour partie d’institutions publiques allemandes, pour partie de mécènes, les principaux étant le S Finanzgruppe, qui fédère des caisses d’épargne, et Volkswagen. Anticapitalisme et écologie fervente s’en accommodent, semble-t-il. Une organisation efficace est à ce prix car la Documenta est une manifestation de très grande ampleur. Exposition unique envahissant la ville, elle réunit cette année près de trois cents artistes, répartis entre une vingtaine de lieux. Les principaux sont le Palais Fridericianum, la Documenta Halle toute proche et les musées du centre. S’y ajoutent l’Orangerie et le Palais Bellevue, survivants des bombardements de la guerre, et des bâtiments récupérés – une ancienne usine textile, une ex-poste. La visite demande temps, endurance et chaussures de marche.
Le côté politique s’affirme au premier regard. Sur la pelouse de la Friedrichsplatz, point de passage obligé, s’élève un Parthénon grandeur nature tout en échafaudages. Colonnes et murs sont remplacés par des feuilles de plastique entre lesquelles sont pris des livres de toutes sortes et en toutes langues, dont le point commun est d’avoir été interdits. Ce Parthénon des livres a été élevé par l’artiste argentine Martha Minujin. Elle déplace ainsi Athènes à Kassel et change le temple grec en allégorie monumentale de la liberté de pensée.
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