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Le zéro déchet, un projet politique à part entière

La directrice de l’association Zero Waste France, Flore Berlingen, estime que le mode de vie « zéro déchet » relève d’une prise de conscience individuelle et collective qui doit repenser le déchet et son système de production, contre le gaspillage et la surconsommation.

Publié le 19 juillet 2017 à 11h49, modifié le 21 juillet 2017 à 10h46 Temps de Lecture 4 min.

Un chariot élévateur porte des déchets recyclables dans un centre de tri du Syctom, l’agence métropolitaine des déchets ménagers, à Sevran (Seine-Saint-Denis).

TRIBUNE. Qu’ils endossent leur casquette d’élu, de salarié, de parent ou de citoyen, les praticiens du « Zero Waste » sont avant tout des individus qui ont opéré une remise en cause, souvent à la fois personnelle et collective. Ils ont commencé à observer leur environnement, à poser un regard nouveau sur le contenu de leur poubelle, à poser des questions et opérer des choix concernant les restes, les traces qu’ils veulent laisser derrière eux.

L’hygiénisme d’Eugène Poubelle, qui devait permettre une meilleure gestion des déchets à Paris (le tri de trois flux était déjà au programme en 1884 !), eut pour fâcheuse conséquence de couper les habitants de leur production de déchets, en exportant ceux-ci à l’extérieur de la ville. Ses plus récents développements visent à brûler les déchets pour tenter – illusion – de les faire disparaître.

A l’inverse, le zéro déchet relève d’une confrontation directe au déchet : on le (re) découvre, on le manipule, on le composte… Bref, on sort du déni de l’existence du déchet pour constater son omniprésence, et chercher à l’anticiper – réduire le gaspillage en amont pour que nos restes demeurent de simples traces de notre passage, de nos vies, et non des montagnes qui empêcheront les générations suivantes de vivre les leurs.

Une démarche synchronisée

Le zéro déchet est ainsi moins une quête de pureté qu’un refus du gaspillage et de la surconsommation. Il mène très rapidement au questionnement plus large de notre système de conception, production et distribution de produits alimentaires et biens de consommation.

Qui « tombe » dans le zéro déchet en devient vite adepte, car une fois que l’on a appris à regarder le déchet et à repérer le gaspillage, il devient difficile de les ignorer à nouveau. Très vite, la démarche zéro déchet individuelle peut cependant se trouver limitée par les contraintes de la vie en collectivité. Dès lors, le passage à l’échelle collective et politique devient logique.

De la même manière, les acteurs publics ou entrepreneurs proposant des solutions de réduction des déchets ne peuvent se passer d’un portage citoyen de la démarche. Plutôt que de distinguer des approches différentes du zéro déchet dont certaines tendraient à l’anecdotique quand d’autres seraient plus sérieuses, nous observons et cherchons à encourager la mise en mouvement synchronisée de toutes ces composantes de la société.

Nous continuons à employer le terme anglais waste car nous tenons à sa double signification de déchet et de gaspillage. L’enjeu environnemental auquel s’attaque la démarche Zero Waste n’est ainsi pas seulement celui de la pollution générée par nos poubelles (qu’il ne s’agit pas de chercher à faire disparaître, comme par magie), mais aussi et avant tout celui de la consommation effrénée des ressources qui permettent la vie sur notre planète.

Un système de recyclage repensé

L’objectif Zero Waste devient ainsi une démarche permanente et holistique plutôt qu’un défi court-termiste auquel prétend parfois répondre la logique du recyclage généralisé. Nous en sommes convaincus : le recyclage est indispensable, mais il ne nous sauvera pas, et c’est tant mieux. Ce qu’il nous reste à faire en amont de cette étape de recyclage est beaucoup plus riche de sens, d’activités, d’échanges, de vie.

Bien sûr, il faut valoriser par le recyclage ce qui peut encore l’être, mais garder à l’esprit que le procédé parfait, sans pollutions ni pertes et consommations, n’existe pas, quel que soit le matériau considéré. Ce qui était un moyen (d’économiser des ressources et de limiter les pollutions) est malheureusement en train de devenir une fin en soi. Et, à nouveau grâce à un glissement lexical regrettable, on passe très vite de la valorisation matière (recyclage) à la valorisation énergétique (incinération). Faire de nos déchets un carburant devient le nouveau mot d’ordre.

« Faire de nos déchets des ressources » est d’ailleurs le slogan de l’un des fleurons français de l’industrie des déchets. A première lecture, il semble refléter parfaitement l’ambition de l’économie circulaire. En réalité, il illustre surtout la poursuite d’une logique de « traitement » (terme neutre qui vise à nous faire oublier les différents impacts sanitaires et environnementaux des procédés utilisés) du déchet et surtout d’un modèle de création de valeur qui va justement à l’encontre de la préservation des ressources. Tant que la rémunération des entreprises chargées de nos poubelles sera calculée sur les tonnages pris en charge, la limitation du gaspillage sera freinée.

Contre le « jetable »

De la même manière, dans la vision Zero Waste et à l’inverse des tendances actuelles de gestion des déchets, la « massification » n’est, en général, pas souhaitable. Une prise en charge par des individus, héritiers enfin réhabilités des chiffonniers, ou par de petites entités est tout à fait envisageable pour l’ensemble des activités liées à la gestion de nos ressources et de nos restes : de la réparation au compostage en passant par le réemploi des emballages (systèmes de consigne par exemple), l’essentiel de nos poubelles pourrait être réintégré dans une boucle locale.

Cependant, un obstacle majeur à cette vision persiste, voire s’amplifie : les objets et matériaux sont de moindre qualité, ils sont devenus « jetables » (le comble de l’hygiénisme, qui finit par être aussi à l’origine d’une production accrue de déchets !). Les activités de récupération et de réemploi en souffrent considérablement, à l’instar de la filière du textile actuellement. Pour un grand nombre, ces activités ne tiennent économiquement aujourd’hui que du fait de leur autre pied, celui de l’insertion par l’activité économique. Leur sauvetage ne durera qu’un temps si l’on ne s’attaque pas directement à cette question de la qualité – et donc de la durabilité – des vêtements comme de tous les objets qui nous entourent.

A nouveau, on ne peut séparer les choix personnels des choix de société. Le zéro déchet constitue ainsi un projet politique à part entière.

Flore Berlingen, directrice de Zero Waste France

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