La nuit n’aura pas suffi à apaiser la pierre de ses brûlures de la veille. Il est 8 heures tout juste et le soleil reprend son offensive sur le village perché de Camini, traquant l’ombre au fond des ruelles, taguant de son sceau de feu les maisons de ce coin perdu de Calabre.
Sylla lève les yeux vers l’astre, le jauge, avant de passer son avant-bras sur son front ; geste qu’il répétera des centaines de fois au fil de sa journée. D’un pas calculé pour durer jusqu’au soir, il entame l’ascension d’un des escaliers de cette bourgade à flanc de colline, pénètre dans une maisonnette d’où s’échappe un concert de marteau et de burin, et, une fois en équilibre sur son échafaudage, il commence à dessiner l’encadrement d’une fenêtre.
Sylla est nigérien, la vingtaine. Si ses gestes ne le trahissent pas, les coups d’œil réguliers d’Hassan, son voisin de chantier, révèlent qu’il apprend encore. « Maître Hassan », comme on appelle désormais le Sénégalais, qui gratte la pierre en expert, a, lui, la pleine confiance du patron, Cosmano Fonte. Il a même si bien copié le maître que Cosmano, « quinqua » qui brasse là le mortier depuis ses 12 ans, se revoit jeune quand il observe Hassan, fier de lui avoir transmis comment panser les blessures des murs du village.
Village-planète
C’est par hasard qu’un jour de juillet 2014 cet Africain est arrivé dans ce coin perdu, à une heure trente de voiture de Reggio de Calabre. « La préfecture nous avait demandé d’héberger temporairement un groupe de mineurs migrants. On s’est attachés à eux et, quand l’administration a voulu les reprendre, je leur ai expliqué que si d’aventure l’un d’eux avait un peu triché sur son âge, c’était le moment ou jamais de rectifier, car nous avions des places pour les majeurs », se souvient Rosario Zurzulo, le directeur de Jungi Mundi, la coopérative qui accueille les demandeurs d’asile et les réfugiés à Camini.
Censé avoir 17 ans, Hassan en a avoué d’un coup dix de plus pour être autorisé à poser son baluchon. « Parce que j’ai tout de suite aimé les gens et que j’ai eu envie de rester », explique le réfugié, qui désormais parle parfaitement le dialecte local et attend l’arrivée de son épouse et de ses quatre enfants.
Avec ses cent cinquante réfugiés (ou demandeurs d’asile) de dix-sept nationalités installés au milieu de deux cent cinquante Calabrais, Camini est un village-planète dont le cœur a redémarré après avoir frôlé l’arrêt. « Avant, ce n’était plus que tristesse et désolation… Il n’y avait plus d’argent, plus de chantiers », observe Cosmano Fonte. « Aujourd’hui, la vie est revenue. Il y a des enfants dans les rues, on entend rire », ajoute celui dont les carnets de commandes se sont remplis, et le bilan s’est enrichi de « quarante maisons rénovées, plus trois en chantier ».
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