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Le livre numérique est dans l'impasse, faisons le choix de l'édition électronique ouverte !, par Marin Dacos et Pierre Mounier

Après plus de dix ans d'attentisme et d'aveuglement, il s'agit de proposer un livre numérique lisible, manipulable et citable.

Publié le 13 mai 2010 à 10h43, modifié le 14 mai 2010 à 10h12 Temps de Lecture 4 min.

Ca y est, elle est là, enfin ! La voici qui arrive après avoir tant été annoncée : la révolution numérique du livre. Depuis plusieurs semaines, le monde de l'édition est agité d'une étrange fièvre technologique. Après être resté des années durant à l'écart du développement du web, les acteurs de la filière du livre semblent vouloir plonger tête baissée dans le grand bain électronique. Tandis que les rapports se multiplient, les éditeurs français focalisent leur attention sur une question importante mais plutôt étroite : le taux de TVA du livre électronique.

Les vrais enjeux sont cependant d'une toute autre ampleur et ils sont peu discutés : sur le segment de la distribution et de la vente de livres électroniques, trois acteurs d'envergure internationale ont pris position et semblent bien décidés à verrouiller le marché dans une situation d'oligopole : il s'agit de Google, déjà présent avec le très contesté Google books et bientôt avec Google édition annoncé pour l'été, Amazon avec sa tablette de lecture Kindle, et enfin Apple avec son tout récent iPad. Les trois initiatives ne relèvent pas de la même logique. Elles ont pourtant des points communs et sont grosses de dangers : pour les lecteurs, pour les auteurs, et même pour les éditeurs…

Pour les auteurs d'abord, c'est un risque de censure : Apple semble bien décidé à exercer un droit de regard sur les contenus mis à disposition des utilisateurs de l'iPad via sa librairie électronique ibookStore. Sait-on par exemple que le dessinateur de presse Mark Fiore s'est vu refuser son application sur iPhone, pour "contenu pornographique, obscène ou diffamant", alors qu'il ne s'agit que de caricature ? Devant le tollé, Steve Jobs a, depuis, fait marche arrière. Mais tout le monde n'a pas la notoriété d'un prix Pulitzer pour faire reculer la censure. Comment être certain qu'il ne demandera pas demain aux auteurs de se conformer à une charte de décence pour avoir l'espoir d'être présent sur ses tablettes de lecture ?

Pour les lecteurs ensuite : les fichiers contenant les livres qu'ils croient acheter sont très souvent incompatibles d'une machine à une autre, ils sont verrouillés et presque toujours intransmissibles. Aujourd'hui, lorsque nous achetons un livre imprimé, nous avons le loisir de le partager avec nos amis, de le prêter à nos proches, de le donner à nos enfants. Rien de cela n'est possible avec le livre numérique tel que le conçoivent ces plateformes. Demain, quelle bibliothèque pourrons-nous transmettre à nos enfants ? Une bibliothèque virtuelle certainement ; tellement virtuelle qu'elle sera vide de tout livre !

Pour les éditeurs enfin : ceux-ci semblent très satisfaits du développement des nouvelles tablettes de lecture fonctionnelles, sécurisées, reliées à des systèmes de vente en ligne et qui semblent promises à un succès commercial certain. Mais sont-ils vraiment conscients qu'il se retrouvent ipso facto dépendants, pieds et poings liés à des acteurs qui ont leur propre agenda ? D'un autre côté, les plateformes de distribution des livres numériques proposées par les groupes d'édition se caractérisent par leur isolement et surtout le prix exorbitant des ouvrages (10 % à 20 % moins cher que les livres imprimés au mieux) qu'elles proposent à la vente : elles ne constituent pas une alternative crédible.

CULTURE WEB

La situation actuelle est le point d'aboutissement de plus de dix ans d'attentisme et d'aveuglement. En refusant le web et son ouverture par crainte du piratage, en tentant de clôner le livre imprimé - sa représentation, ses usages de lecture, son mode de distribution et jusqu'à son modèle économique, sur le support numérique, en n'accordant pas une place primordiale à l'innovation et à l'imagination, les principaux acteurs du monde de l'édition se sont engagés dans une voie sans issue.

A l'inverse, d'autres ont expérimenté des pratiques d'édition électronique en phase avec cette "culture du web" que s'appropriait le grand public durant la même période. Peu à peu, ils ont posé les fondements d'une édition vraiment électronique. Pour le résumer à grands traits, il s'agit de proposer un livre numérique tout à la fois lisible, manipulable et citable :

- Lisible : il doit reposer sur des formats ouverts et standards permettant sa transmission d'une machine à l'autre et sa conservation dans le temps. Il doit être recomposable et adaptable du fait de ces formats sur tous les systèmes possibles.

- Manipulable : il doit être indexable et interrogable. Il doit permettre au minimum le copier-coller et l'annotation. Il doit permettre les recompositions et les modifications selon les envies du lecteur.

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- Citable : il doit pouvoir être retrouvé par tous les chemins dans la masse quasiment infinie d'informations aujourd'hui disponibles, ce qui signifie qu'il doit disposer au minimum d'un identifiant unique, d'une adresse pérenne sur Internet et d'une description riche et utilisable.

On le voit, ce "cahier des charges" du livre électronique idéal est loin, très loin d'être respecté par l'offre existante. Il ne fait pourtant qu'exprimer les usages du public sur Internet et les supports numériques aujourd'hui. C'est seulement en le respectant à la lettre, condition nécessaire mais pas suffisante car il faut y ajouter une politique de prix raisonnable et une ergonomie satisfaisante, que la "chaîne du livre" peut espérer réussir sa mutation vers le numérique et s'affranchir des points de passage obligés que les plateformes centralisées sont en train de mettre en place. Les enjeux ne sont pas seulement économiques, ils sont aussi culturels et politiques. Car de l'existence d'un marché de l'édition dynamique et varié évitant l'étouffoir oligopolistique, dépendent rien moins que l'avenir de la diversité culturelle, de la liberté d'expression et de la qualité du débat public.

Marin Dacos est directeur du Centre pour l'édition électronique ouverte (Cléo) et fondateur du portail de revues électroniques Revues.org. Pierre Mounier est responsable de la formation, des études et des usages au Cléo et créateur du site Homo Numericus. Tous les deux viennent de publier L'édition électronique (La Découverte, collection Repères).

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